Cinq jours plus tard…
Le menton relevé et la bouche tremblante, William Turner se tenait devant le trou béant qui avait été creusé dans le cimetière de Cornwallis et tentait vainement de retenir ses larmes. Autour de lui, les gens chuchotaient, n’osant trop montrer que pour eux la vie continuait tandis que, debout à ses côtés, Joe Mac Drache pleurait amèrement sa femme et sa plus jeune fille. Will se mordit la lèvre, reprenant inconsciemment le geste familier de sa mère, et regarda les trois cercueils alignés qui attendaient d’être mis en terre. Il n’y avait personne dedans… Il le savait. Sa maman et Penny et Mme Mac Drache avaient brûlé dans l’incendie de sa maison. Il avait entendu les gens en parler à voix basse quand ils le pensaient hors de portée d’oreille, tous espéraient que les pauvres soient mortes avant l’incendie… Will ne comprenait pas bien pourquoi c’était mieux puisqu’elles étaient mortes mais il l’espérait aussi …
Le prêtre continua son homélie. Il pavoisa sur la barbarie des pirates qui avaient envahi leur tranquille petite ville et avaient arraché aux bras aimants de leurs familles des femmes douces et honnêtes qui laissaient derrière eux veufs et orphelins. Will renifla en l’entendant et songea à ces fameux pirates dont parlait le prêtre. Nombreux ici avaient été les habitants qui les avaient vus emprunter le chemin menant à la petite maison des Turner sans se douter du drame qu’ils causeraient … Si c’était des pirates ? Oh mais bien sur ma bonne dame … Leurs vêtements étaient des guenilles et leurs mines étaient féroces… Pourtant personne ne s’était inquiété…
Les poings serrés, William regarda les porteurs descendre lentement le cercueil de sa mère dans le trou qui avait été creusé et étouffa un sanglot tandis que Sarah poussait un gémissement. Will se força à continuer à penser aux pirates qui avaient tué sa mère, n’ayant trouvé que ça pour ne pas pleurer et Joe le poussa doucement en avant
« La terre Willy.. Pour ta maman… Même si .. Elle est au Paradis maintenant tu sais… » Gémit l’homme en s’étouffant dans un sanglot
Une poignée de terre dans sa main, Will s’approcha du trou et écarta doucement les doigts. Les larmes qu’il avait tellement essayé de retenir roulèrent sur ses joues et il recula.
Lorsque la dernière pelletée de terre eut recouvert le cercueil, Will se fit la promesse silencieuse qu’un jour il serait assez fort pour tuer l’un de ces pirates qui lui avaient pris sa mère…
La cérémonie terminée, Joe Mac Drache s’approcha de lui et le prit par l’épaule
« Viens mon garçon on rentre. » Lui déclara-t-il d’une voix brisée.
C’était lui qui avait découvert la catastrophe… Lui qui avait vu flamber la maison de loin et qui était arrivé trop tard pour sortir qui que ce soit du brasier. Lui encore qui était allé chercher Will et qui lui avait annoncé la nouvelle d’une voix entrecoupée par les larmes … avant de l’accueillir chez lui, le deuil qui les frappait les réunissant dans le malheur et le chagrin.
Deux semaines plus tard
Will fixa Joe Mac Drache qui ne parvint même pas à lui faire son habituel sourire, brisé par la mort de sa femme et de sa cadette.
« Dites Monsieur Mac Drache… Demanda Will.
- Quoi ? Demanda l’autre d’un ton indifférent en fixant le paysage sans le voir
- C’est loin les Caraïbes ?
- Pourqu… ah oui ton père … Et bien oui petit … » Soupira Joe
William hocha la tête et se leva pour se diriger vers la porte. Joe le suivit du regard et sentit qu’il devait dire quelque chose mais le courage lui manqua et il laissa sortir le petit garçon
Une fois dehors, Will glissa sa main dans sa chemise et caressa la pièce que lui avait donnée Arabella. Il ne l’avait montrée à personne. D’abord parce que sa mère lui avait interdit, ensuite parce que c’était la seule chose qui lui restait de ses parents.
Ses pas résonnèrent sur la terre tandis qu’il courrait vers le port et s’efforçait d’ignorer les regards remplis de pitié des gens pour lesquels il n’était plus que « le pauvre petit orphelin »
Bouche bée, Will regarda un navire de la marine marchande entrer au port, le cœur battant à l’idée que son père puisse être dessus. Plein d’espoir, il se précipita vers le premier homme qui débarquait et posa la question qui lui était rituelle depuis aussi longtemps qu’il s’en souvenait
« Est-ce que William Turner est à bord ? »
L’homme lui jeta un coup d’œil distrait et répondit sans s’arrêter
« Non petit »
Will lui emboîta le pas et courut pour rester à sa hauteur
« Où vous allez après ?
- Je vois pas en quoi ça te regarde. Grommela l’homme. Mais on va à Port Royal dans les Caraïbes.
- Les Caraïbes ! » S’exclama Will
L’homme s’arrêta
« J’suis sûr que tu sais même pas où c’est
- Si je sais ! S’insurgea Will. C’est très loin d’ici et il fait chaud. »
L’homme haussa les épaules et reprit sa route, le plantant là. Will le regarda s’éloigner, perdu dans ses pensées. Le bateau allait aux Caraïbes… Ça devait pas être très grand les Caraïbes… Un peu comme Cornwallis… Là-bas il retrouverait vite son papa … D’un autre côté, Arabella puis Joe, lui avaient dit que Rebecca et son père reviendraient bientôt, qu’il suffisait de les attendre et qu’ils s’occuperaient de lui. Mais attendre … William avait passé sa vie à ça… Et son papa n’était jamais revenu… Si Rebecca faisait pareil… Et puis, Becca elle, elle était avec son père… Et Will songea que lui aussi, il aimerait bien être avec son père…. Aussi se précipita-t-il derrière l’homme qui venait d’entrer dans la taverne.
« Je peux venir ? » Demanda-t-il
L’homme soupira
« Encore toi ? Allez rentre chez toi, ta mère va t’attendre »
La lèvre tremblante, Will répondit
« Ma maman est morte… Et mon père est dans les Caraïbes, c’est un grand marchand c’est pour ça qu’il faut que j’y aille ! »
L’homme soupira tandis que Mac Fridge le servait
« Oh Willy… Soupira l’aubergiste. Allez rentre chez toi enfin chez Joe. Scusez le gamin M‘sieur… Sa mère est morte et son père est parti depuis des années alors… »
Will se crispa mais ne se démonta pas, il tira sur la manche de l’homme
« S’il vous plait Monsieur »
Attendri, le marin soupira
« Et comment il s’appelle ton papa ?
- William Turner. Répéta Will
- Jamais entendu parler désolé. »
La bouche de Will se tordit et il ravala ses larmes
« S’il vous plait, sûrement que là-bas on le connaît …
- File William ! » Le chassa Mac Fridge
La mort dans l’âme, Will sortit et se dirigea vers le cimetière. Là, il se pencha sur la tombe d’Arabella.
« Je vais aller voir papa tu sais. Lui confia-t-il, sa décision prise. Au revoir maman… » Ajouta-t-il en pleurant avant de se détourner résolument pour courir vers le port.
Will observa le ballet des hommes et prit une grande inspiration en les voyant embarquer des marchandises, signe que le départ ne tarderait pas. Sans se démonter, il se présenta à l’embarcadère et prit un colis
« Ek ? T’es qui toi ? Lui demanda l’homme
- Le nouveau mousse, je m’appelle Will. Répondit ce dernier.
- Qui a dit ça ? Demanda l’homme
- Lui. Répondit Will en désignant l’homme qu’il avait suivi jusqu’à la taverne
- Oh… Alors si le capitaine Hallis l’a dit… Bienvenue à bord Will ! » Lui déclara l’homme en rajoutant un colis à sa charge.
Les dents serrées sous l’effort, Will hocha la tête et se précipita à bord, évitant le capitaine …
Alors que le navire quittait le port, quelques heures plus tard, Will songea avec remords qu’il n’avait même averti Joe de son départ avant de se rassurer : il comprendrait sûrement …
Un mois et demi plus tard
Rebecca sauta joyeusement hors de la chaloupe qui les avaient conduits jusqu’à la petite baie tranquille qui bordait la forêt entourant la maison d’Arabella et se précipita vers le chemin, les yeux brillants d’aventures à raconter
« Dépêche-toi papa ! » Lança-t-elle à Reece qui sourit
Père et fille s’engagèrent sur le sentier, Rebecca babillait joyeusement lorsque Reece s’immobilisa en voyant les ruines. Le cœur serré par un affreux pressentiment il se baissa à hauteur du visage de Rebecca.
« Attend moi là… Tu ne bouges pas, d’accord
- Oui papa ! Mais pourquoi ?
- Attend… Répéta Reece en s’approchant à la hâte de ce qui avait été une maison. Mon dieu … Souffla-t-il
- MAMAN ! » Hurla Rebecca en se précipitant vers les ruines
Reece maudit la désobéissance de sa fille et la retint
« Attend … On va .. Les voisins … Tenta-t-il tandis que Rebecca qui ne l’avait pas écouté, filait déjà vers la maison des Mac Drache. BECCA ! Attends ! » S’écria Reece en la suivant tant bien que mal
Échevelée par sa course, Rebecca ouvrit la porte à la volée (la politesse avait toujours été une vague notion pour elle) et se précipita dans la pièce
« Mr Mac Drache ! Où est maman ? Où est Willy ? »
Anéanti à sa vue, Joe prit sa tête dans ses mains
« Oh mon Dieu… Oh mon Dieu ma pauvre petite … » Gémit il
Pétrifiée, Rebecca le fixa, surprise de le voir pleurer. Reece la rejoignit et posa une main sur son épaule
« Becca. Sors. Maintenant ! Ordonna-t-il en voyant avec inquiétude Joe pleurer
- Je suis désolé. Déclara soudain le pauvre homme. J’ai essayé de veiller sur Willy après la mort d’Arabella … Mais, je crois qu’il est parti sur un bateau et … Elles sont mortes… Elles sont toutes mortes, Emma, Penny, Arabella … » Gémit-il .
Reece s’immobilisa tandis que les yeux de Rebecca s’emplissaient de larmes
« Maman… » Murmura-t-elle.
Reece la serra farouchement contre lui tandis que Joe continuait son récit d’une voix entrecoupée par les sanglots…
Quelques heures plus tard,
Le visage blême, la main de Rebecca serrant la sienne à la briser, Reece passa la grille du petit cimetière de Cornwallis et arpenta les allées avant de s’arrêter devant une tombe fraîche
« Oh Arabella... Gémit-il en lisant le nom gravé dans la pierre. Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? Non c’est ma faute.. j’aurais du… J’aurais du insister. Soupira-t-il, n’ayant pas été long à comprendre ce qui avait poussé les pirates à s’en prendre à la jeune femme
- Maman… Répéta Rebecca en touchant la pierre. Maman … Non… Je veux maman, elle avait promis qu’elle serait là avec Willy ! » Sanglota-t-elle
Le cœur serré, Reece s’agenouilla et l’étreignit farouchement.
« Je suis désolé Rebecca… Si désolé ma chérie .. Mais les anges... Ils n’ont pas attendus ils la voulaient près d‘eux.… Ta maman est là-bas maintenant avec ma Laura… » Soupira-t-il
Rebecca tourna un visage bouleversé vers lui
« Alors j’ai plus de maman du tout maintenant ? »
Reece la regarda, désespéré
« Tu m’as moi… Soupira-t-il en l’étreignant
- Papa... » Sanglota Rebecca avant de se serrer contre lui.
Père et fille restèrent enlacés un long moment devant la tombe d’Arabella puis Rebecca se détacha et posa une question à laquelle Reece n’avait pas de réponse
« Et Willy il a qui ? »
Pleine mer,
Deux semaines plus tard…
Will regarda le soleil se lever à l’horizon, fasciné par le spectacle. En le voyant le capitaine Hallis ne put retenir un sourire et s’approcha du petit garçon.
« C’est beau. » Soupira Will
Hallis sourit et baissa le visage vers lui. Il était content d’avoir un peu de sang neuf à bord, même si il avait tout d’abord été furieux en découvrant que Will avait embarqué… Mais le gamin était travailleur et bien élevé (sa pauvre mère avait fait du rudement beau travail si on voulait son avis) aussi s’était-il peu à peu attaché à l’orphelin même s’il aurait préféré se faire arracher un bras plutôt que de l’admettre
« Oui… c’est beau. Répondit-il. Mais il y a mieux … »
Will le regarda avec curiosité
« Quoi ?
- Un éclair vert… Expliqua Hallis d’un ton rêveur
- Mais... C’est pas vert les éclairs !
- Ceux-là si… Mais peu de marins en ont déjà vu… Parce qu’ils sont spéciaux tu vois …Il parait que lorsqu’on voit un de ces éclairs, c’est le signe qu’un défunt revient à la vie. » Expliqua Hallis
Le visage de Will se remplit de tristesse et Hallis se traita mentalement d’idiot alors que le garçon répondait
« J’aimerais bien en voir un pour maman… »
Embarrassé, Hallis toussota et changea de sujet
« Tu sais le nom du bateau de ton père ?
- Non… » Répondit Will
Hallis songeait que ça allait être difficile lorsque son second l’appela fort providentiellement
« Excuse-moi… » Dit-il à Will avant de s’éloigner.
Resté seul, le petit garçon fixa l’horizon et guetta un éclair vert avant de soupirer tristement. Les morts ne revenaient pas à la vie… En tout cas sa maman elle n’était pas revenue …alors autant oublier tout de suite cette histoire… Et se concentrer sur son but…
La seule chose qui lui restait c’était son père et Will entendait bien le retrouver et cela peu importe le temps que ça prendrait. Il était seul de toute façon. Avec un sourire triste, Will s’écarta du bastingage et reprit son travail tandis que le navire continuait sa route et le rapprochait peu à peu de l’endroit où son père vivait et où sa mère avait grandi…
Les lointaines Caraïbes où étaient ses racines.
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