Jack se passa de l’eau fraîche sur le visage avant de regagner sa cabine. Un soupir las lui échappa en découvrant Elizabeth perchée sur une chaise dans un équilibre plus que précaire et cherchant à attraper la bouteille de laudanum qu’il avait pris soin de placer hors de ses petits doigts avides.
« Je ne te dérange pas trop ? »
Elizabeth sursauta violemment en l’entendant et perdit l’équilibre, elle ferma les yeux et s’attendit à éprouver la dureté du sol. Contre toute attente, Jack la rattrapa fermement et la serra contre lui brièvement, sa bouche frôla sa peau nue. En sueur elle se retourna vers lui, les mains agitées par le manque et les yeux agités de spasmes.
« Je, tu avais dit que je pourrais l’avoir après. » Plaida-t-elle d’un ton suppliant.
Jack la relâcha, la mâchoire serrée. Bien sûr le laudanum. Ne jamais oublier que cette foutue catin ne lui donnait jamais rien pour rien.
« Oui je sais je l’avais dit. Se moqua Jack. Mais le fait est que je ne suis qu’un sale pirate, menteur, tricheur, méprisable. Bien loin de l’homme à la morale et sens de la droiture parfaits que tu avais épousé en première noce ma chérie. »
La lèvre d’Elizabeth se mit à trembler et elle jeta un coup d’œil enfiévré au laudanum avant d’être secouée par une toux rauque, pliée en deux sous la douleur.
« Ça fait mal hein ? Continua Jack. De se voir refuser ce qu’on désire, d’être utilisée sans rien obtenir en retour. Tu vois je voulais que tu saches ce que ça fait, quel goût ça a. »
Elizabeth, à genoux et empourprée, ne répondit pas, sa main agrippa la chaise sur laquelle elle était juchée quelques instants plus tôt. Sa poitrine la brûlait impitoyablement et le manque la dévorait alors qu’elle entendait la voix de Jack pareille à un bourdonnement lointain. Une nouvelle quinte la secoua alors qu’elle crachait à nouveau du sang mêlé à une matière putride et elle s’essuya nerveusement sur la manche de la robe que Jack lui avait fait porter pour leur mariage. Douché, le pirate se pencha sur elle et l’aida à se relever.
« Lizzie ? Ça va ? » Demanda-t-il d’un ton plus inquiet qu’il n’aurait voulu le montrer.
A bout de souffle et la respiration sifflante, elle laissa retomber son visage contre son épaule tandis qu’il la soulevait. Elle était encore plus maigre que d’habitude songea Jack en sentant ses os sous sa peau. Pourtant, il s’était assuré qu’elle mangeait, même mieux que l’équipage pour tout dire. C’était sûrement encore une des conséquences de son fichu laudanum. Il passa la main sur son front et grimaça. Brûlante. Comme la dernière fois. Avec douceur il la déposa sur le lit et rabattit la couverture sur elle. Elizabeth ne le voyait plus, enfermée dans sa douleur, elle agrippa le vêtement de Jack que ses doigts serrèrent avec désespoir.
« Donne. La douleur… Oublier. Pitié… »
Jack soupira longuement en croisant son regard enfiévré, parti dans les méandres de son besoin.
« D’accord un peu maintenant. Le reste une fois que tu auras vu Teague. » Dit-il en détachant doucement ses doigts de sa chemise.
Jack avança vers l’armoire, il redressa la chaise tout en pestant contre sa stupidité. Une fois encore il cédait sans rien obtenir. Mais il ne pouvait pas la laisser comme ça. Il ne pouvait pas la laisser lui échapper. Lentement il versa quelques gouttes du précieux liquide dans sa bouche pendant que les doigts d’Elizabeth étreignaient sa main pour le forcer à lui en donner plus.
« Non ! Ça suffit. » Dit il la repoussant sans douceur.
Elizabeth, le regard brûlant, le regarda avant de fondre en larmes. Elle n’en avait pas assez. Elle avait encore mal. Lorsqu’elle s’était réveillée, seule comme toujours dans le lit de Jack, la soirée de la veille lui était revenue en mémoire avec une douloureuse acuité. « Jusqu’à ce que quelqu’un abrège mon supplice » avait il dit. Et le manque avait ressurgi. Plus fort encore que les autres fois. Avec la souffrance. Celle de l’âme et du cœur qui lui disait qu’elle n’était pas aimée et celle du corps qui appelait le laudanum comme une réponse à sa douleur.
Un coup léger fut frappé à la porte, suivit immédiatement par l’entrée de Teague qui embrassa la pièce d’un coup d’œil.
« Ton second me dit que tu voulais me parler. Alors dépêche-toi petit, j’ai autre chose à faire que de m’occuper de tes problèmes. »
Elizabeth leva son regard enfiévré vers Teague, croyant à une hallucination.
« Jack ?
- Bugger…. » Souffla le Gardien en s’approchant.
Jack se tourna vers lui, l’air triomphant.
« Je crois que nous sommes dans des circonstances particulières non ? Elle est dans l’état que tu vois. C’est ma femme, je suis son mari. Je deviens donc Roi de la Confrérie. CQFD ! » S’exclama Jack en jubilant.
Teague secoua la tête douloureusement et s’assit aux côtés d’Elizabeth ce qui fit grimacer Jack qui leva instinctivement la main vers lui pour l’empêcher de la toucher.
« Oui Jackie. Tu es Roi pour l‘instant… »
Elizabeth crispa ses mains sur les draps et son regard chercha la bouteille de laudanum.
« Jack….. Je t’en supplie, ferais tout ce que tu voudras. »
Jack soupira et déposa la bouteille de laudanum dans la main décharnée d’Elizabeth.
« Tiens, de toute manière je n’ai plus besoin de toi à présent. »
Elizabeth, les mains tremblantes défit le bouchon avant de boire à grands traits et son visage se détendit peu à peu. C’était bon… Si bon… De partir si loin…
Teague leva un regard triste sur Jack.
« Je suis désolé fils. C’est cruel je sais. »
Jack ricana et haussa les épaules.
« Ce n’est pas moi qui lui ai donné l’habitude de se droguer à son foutu opium si c’est-ce que tu penses ! Cette habitude elle l’a prise dans le bordel où elle faisait la catin. »
Teague le regarda sans comprendre avant de commencer à parler, employant un ton précautionneux qui lui était inhabituel.
« J’aimerais te parler Jackie. Tu as un endroit disons calme ? »
Jack jeta un petit coup d’œil vers Elizabeth qui soupira, la respiration lourde et se détendait peu à peu sous l’effet du laudanum. Elle n’avait pas besoin de lui. Pas envie de lui.
« Suis-moi. » Dit-il à Teague en l’entraînant à l’extérieur, refermant la porte à clef.
Son geste n’échappa pas à Teague qui soupira.
« Tu as du rhum fils ? »
De plus en plus intrigué, Jack lui désigna la cale et Teague descendit pesamment avant de s’asseoir sur un tonneau vide. Jack lui tendit une bouteille de rhum sans rien dire et attendit qu’il parle.
()()
Teague prit une longue rasade avant de se tourner vers lui.
« Dès que je l’ai vue, j’ai su que cette fille ferait n’importe quoi pour être avec toi. Peu importe ce qu’elle disait, ses yeux ne mentaient pas. »
Jack serra les dents et se pencha sur lui avec hostilité.
« Tu dois confondre Teague ou alors tu deviens sénile. Ce qui est fort possible vu le temps que tu passes à lire ton foutu bouquin. Tu dois le connaître par cœur maintenant non ?
- Jackie…
- Et je ne t’ai pas demandé ton avis !!! Elizabeth Sparrow n’est Elizabeth Sparrow que pour avoir son foutu laudanum. Elle m’a épousé parce que je lui ai promis qu’elle en aurait suffisamment.
- Ça la soulage … Commença Teague.
- Quand à moi je ne l’ai épousée que pour répondre aux critères de ton fichu Code des Pirates savvy ?
- Oh Jackie… Murmura Teague d’un ton navré.
- Une Reine des Pirates. Une foutue catin qui se vend au plus offrant pour sauver son précieux Will, qu’elle a tout de même réussi à tuer et pour avoir son opium !!! Elle est méprisable. Elle fait tout, n’importe quoi pour l’avoir. Faut voir jusqu’où elle va !! Elle dépérit, elle crache du sang ! » Ragea Jack.
Teague le regarda avec pitié.
« Jackie si elle est si maigre et si elle crache du sang ce n’est pas à cause de l’opium … »
Jack leva le doigt et déglutit, cherchant quelque chose à répondre alors que son cœur se mettait à cogner douloureusement dans sa poitrine. Teague prit une nouvelle rasade avec de reprendre sans le regarder.
« Elle est malade Jack. Elle a la phtisie… »
Jack ouvrit la bouche avant de la refermer brutalement puis se décida.
« Et bien elle a sûrement attrapé ça dans son bordel. On va faire venir un médecin ou un sorcier ou je ne sais quoi et cette pute pourra à nouveau se gaver d’opium. »
Teague prit une nouvelle rasade, le regard perdu dans ses souvenirs.
« On ne guérit pas de la phtisie Jackie. Personne ne le peut.
- Je … comprends pas. » Murmura Jack.
Teague leva le bras vers lui avant de le laisser retomber d’un air impuissant.
« Elle est en train de mourir Jackie. Son foutu laudanum, comme tu dis, la prolonge en atténuant ses douleurs. Mais ça ne suffira bientôt plus. »
Jack secoua la tête et se mordit les lèvres.
« Non … Non tu dis n’importe quoi Lizzie n’a pas ta phtisie ou je ne sais plus quoi ! Son seul problème est d’être une putain droguée. »
Le poing de Teague s’écrasa sur son nez et Jack entendit un craquement sourd alors que la douleur se propageait en lui.
« Ne me dis pas que je ne sais pas de quoi je parle !!! Ta mère en est morte !!! Alors tu vois Jackie, je suis bien placé pour reconnaître les symptômes. »
Jack pencha la tête en arrière, se maintenant le nez.
« Je crois que tu me l’as cassé… »
Teague poussa un long soupir et tenta manifestement de se calmer.
« Jack. Ta femme est en train de mourir. La seule chose qui la maintient encore en vie c’est le laudanum. Est-ce que tu comprends ou est-ce que mon fils est réellement stupide ??? »
Jack la main sur le nez, le remit en place d’un craquement et lui sourit.
« Ah non il était pas cassé… Et pour Lizzie j’ai ici de quoi la soigner. » Dit-il en exhibant fièrement l’eau de la Fontaine de Jouvence.
Teague lui lança un nouveau regard empli de pitié.
« Jackie. RIEN ne peut soigner la phtisie, tu comprends ? Demanda-t-il plus doucement.
- Oui mais ça c’est pas n’importe quelle eau ! C’est la Fontaine de Jouvence il suffira à Lizzie d’en boire et ça retardera sa mort ! CQFD ! »
Teague se massa lentement les tempes avant de reprendre d’une voix calme
« Jack. La Fontaine de Jouvence ne fait que garder jeune. Elle ne guérit pas les malades. Tu crois que s’il y avait eu une solution j’aurais laissé ta mère mourir ? »
La main de Jack se crispa sur la bouteille et il regarda Teague avec incrédulité. C’était impossible. Lizzie ne pouvait pas être malade. Ni mourir ! Elle avait quoi ? Vingt-cinq ans tout au plus !
« Je, je ne te crois pas … Elle va prendre l’eau et elle ira bien. »
Teague le saisit aux épaules et le secoua. Il avait le cœur lourd, très lourd alors qu’il croisait le regard perdu de son fils.
« Non Jackie. Elle n’ira pas bien. Elle est en train de mourir. Et tu ne peux rien faire. Rien du tout. » Murmura Teague d’un ton vibrant de chagrin.
Jack baissa les yeux, son cœur se serra en réalisant que son père disait vrai. L’eau de la Fontaine ne guérissait pas, elle était inutile.
« Il doit bien exister un moyen. Commença Jack d’un ton moins assuré
- Non. Il n’y en a pas. La seule chose que tu peux faire c’est être près d’elle et lui donner du laudanum. Ça sera dur Jack crois-moi. Il n’y a rien de pire que de voir mourir une personne qu’on aime….
- Je ne l’aime pas. S’insurgea Jack. Elle va mourir ? Tant mieux ! Qu’elle rejoigne son forgeron de malheur et qu’elle me laisse tranquille !!! »
Teague soupira longuement et remit son chapeau avec lenteur.
« Alors dans ce cas je n’ai pas à m’inquiéter pour toi. Dommage, un moment j’ai pensé que mon fils avait un cœur.
- Ça te va bien à toi de dire ça … » Grinça Jack.
Teague se crispa et se retourna vers lui et renonça à s’expliquer.
« Je vais te donner un dernier conseil Jackie…
- J’en ai pas besoin
- Tu l’auras quand même. Jack ne lui ferme pas ton cœur. Pas maintenant. Parce que tu n’auras pas de seconde chance. »
Jack grimaça, les mains tremblantes.
« Je n’ai jamais la moindre chance avec elle. Et de toute manière elle n’est qu’une putain. Elle est sans importance !! »
Teague soupira d’un air désolé.
« Je te l’ai déjà dit Jackie. Le secret ce n’est pas ta Fontaine de Jouvence ou devenir immortel. Le secret c’est de vivre avec soi-même et d’accepter ce qu’on ressent.
- Je ne ressens rien pour elle. Elle m’a tué ! Elle m’a ignoré ! Je lui ai tout sacrifié !! Si elle m’avait choisi j’aurais mis le monde à ses pieds mais elle n’en a pas voulu. Elle n’a jamais voulu de moi. »
Teague haussa les épaules avec impuissance.
« J’aurais essayé. Peut-être qu’un jour tu comprendras, je te souhaite que tu le fasses à temps. En attendant elle est sous ta responsabilité Jack. Assure-toi que sa mort soit la moins douloureuse possible. Grimaça-t-il. Elle le mérite. C’est toujours la Reine, la Reine que tu as choisi et qui nous a menés à la victoire. Peu importe qu’elle soit droguée ou catin. Elizabeth Swann est la première Reine de la Confrérie.
- Sparrow. C’est Elizabeth Sparrow. Murmura Jack. Pour le reste et bien je vais la ramener chez elle. »
Teague ricana.
« Chez elle ? Mais elle est chez elle Jackie. C’est ta femme comme tu viens de le faire remarquer. »
Jack baissa les yeux et commença à se mordre nerveusement les ongles. Son père disait n’importe quoi …
« Je suis désolé Jack. Vraiment. J’aurais voulu que ça se passe différemment pour toi et pour elle aussi. Soupira Teague en s’engageant dans les escaliers. Pas la peine de me raccompagner, je connais le chemin. »
()()
Après le départ de son père, Jack resta assis sur le tonneau, son cœur cognait dans sa poitrine alors qu’il songeait à tout ce qu’il avait dit. Elizabeth allait mourir. Sa main se crispa sur la bouteille qui contenait sa précieuse eau de la Fontaine de Jouvence. Inutile. Il avait passé des mois à chercher cette foutue fontaine et à présent qu’il en avait besoin, elle ne lui servirait à rien…
Bonner s’approcha de lui de son pas lourd et Jack détourna la tête, une boule dans la gorge.
« Pas maintenant tu veux Bonner.
- C’est que les gars sont prêts à partir Jack. Murmura Bonner avec précaution, surpris par le ton de Jack.
- Je … Soupira Jack. Fait en sorte que nous ayons assez de laudanum avant d’embarquer. Je veux qu’elle ait de quoi s’en gaver jusqu’à … »
Jack s’étouffa à demi. Il ne pouvait pas le dire. Il n’y arrivait pas.
« Jusqu’au prochain port. D’accord Jack. Je vais aller le chercher moi-même. Et pour notre cap ? »
Jack posa une main tremblante sur son compas et l’ouvrit avant de le refermer d’un geste brusque. L’aiguille oscillait dans tous les sens, aussi perdue que lui.
« Va où tu veux. Singapour, Tortuga … »
Bonner se mordit les lèvres et s’approcha de Jack.
« J’ai vu ton père partir. Il avait l’air contrarié.
- Parce que je suis Roi. Répondit rapidement Jack.
- Et bien tu as ce que tu voulais non ? » Insinua Bonner.
Jack se leva, il évita son regard et s’engagea dans l’escalier.
« Tous les Rois ont besoin d’une Reine. » Murmura-t-il tandis que Bonner le regardait avec inquiétude.
()()
Elizabeth, le regard vague, était allongée sur son lit, enfin le lit de Jack. Le laudanum faisait peu à peu son effet et soulageait la brûlure de sa poitrine. Elle ne savait plus trop où elle était au juste mais elle savourait le moment. Le calme. L’absence de douleur. La fuite des souvenirs qui lui permettait d’oublier qu’elle était seule. Si seule.
Elle parvenait même à oublier qu’elle était mariée. A oublier l’espace d’un instant les mots si durs que Jack avait sans cesse à son encontre. Perdue dans son rêve, Elizabeth ne bougea pas lorsque Jack entra dans la cabine et se contenta de sourire d’un air perdu. Elle était si bien dans son rêve.
Jack, une boule dans la gorge, regarda la forme allongée. Sa Lizzie. Elle était si maigre, sa peau si blanche. Jusqu’à présent il avait cru que ça venait de l’opium mais il s’était menti. Elle était malade. Et cette fois encore elle lui échapperait. Sauf qu’il ne pourrait plus jamais l’atteindre. Elle ne serait jamais à lui. Il ne pourrait plus jamais la toucher, finalement elle gagnerait.
Elizabeth leva son regard embrumé vers lui et il sentit son cœur se serrer avant que la colère l’envahisse à nouveau. Elle était ailleurs, elle était déjà partie. Il n’avait pas pu la toucher parce que chaque fois qu’il avançait vers elle, elle faisait en sorte de glisser entre ses doigts comme sa foutue fumée. Insaisissable, intouchable pour lui mais là pour les autres. Pour tous les autres.
« Pourquoi… Murmura-t-il. Pourquoi !!! Pourquoi tu ne veux pas de moi !! C’est tout ce que tu as trouvé hein !!! Tu préfères encore la mort à être avec moi !!! Sale putain !! Meurtrière !!! Je te hais !!! Je ne te laisserais pas faire ça t’as compris !! Je ne te laisserais pas partir !!! Hurla-t-il soudainement en la prenant par les épaules pour la secouer. Regarde-moi !!! Regarde moi je ne te laisserais pas faire ça !! »
Elizabeth gémit faiblement et son cœur se serra brutalement dans sa poitrine. Ça recommençait, il revenait. Parce qu’il n’était pas assez vengé. Il la haïssait… Jack la regarda avant pousser un cri étranglé en voyant les marques rouges que ses doigts avaient laissées sur sa peau blanche. Mort de honte il la relâcha tandis qu’elle obéissait et le fixait de son regard perdu qu’il avait appris à détester. Elle ne comprenait pas ce nouveau débordement de rage. Partir … Il disait qu’elle allait partir. Mais elle ne pouvait pas le faire, elle ne voulait pas le faire. Même si il lui faisait du mal, même s’il la faisait souffrir, même s’il ne la voyait que comme une catin, de temps à autres, il lui laissait espérer qu’il l’aimait un peu ou du moins qu’il lui avait pardonné pour ce qu’elle lui avait fait. Il lui donnait le laudanum aussi. Il lui donnait l’oubli qui lui servait justement à l’oublier lui et tout le mal qu’elle avait fait. A Jack, à Will, à James, à son père… Jamais elle ne pourrait réparer suffisamment ce qu’elle avait brisé. Elle ne pouvait rien faire. A part donner la seule chose qu’elle pouvait. Du plaisir. Parce qu’elle avait toujours été une catin et parce que dans ces moments-là la peine la fuyait et qu’elle avait l’impression d’être aimée, pardonnée. Parce que dans ces instants là il la haïssait un peu moins. Avec un gémissement, elle glissa la main sur le torse de Jack. C’était ce qu’il attendait, la seule chose qu’elle pouvait lui donner.
Jack respira brutalement et son souffle s’étrangla dans sa poitrine alors qu’elle caressait son torse avec hésitation, sa main brûlante descendant lentement le long de son ventre. Il la désirait. Encore. Il avait beau savoir qu’elle ne faisait ça que pour avoir son laudanum il ne pouvait pas empêcher son cœur de battre plus fort de la sentir si proche. Presque à lui. Avec un soupir, il referma ses bras autour d’elle et la serra doucement contre lui, enfouissant son visage dans ses cheveux.
« Lizzie, reste avec moi. S’il te plait, reste avec moi. Murmura-t-il détestant entendre la fêlure dans sa propre voix. Je te donnerais tout le laudanum que tu voudras. Je, je t’emmènerais ailleurs, où tu voudras. Mais ne t’en vas pas. »
Contre lui, Elizabeth poussa un petit soupir, les larmes aux yeux et resserra son étreinte. Elle leva le visage vers lui, incrédule. Elle ne comprenait pas pourquoi il agissait ainsi. Sûrement encore pour l’humilier.
Le cœur lourd, Jack la fixa, détestant encore ce regard qui lui prouvait que jamais elle ne serait à lui avant de se pencher sur ses lèvres. Il en voulait encore. Sentir encore ses lèvres sous les siennes, croire encore un peu qu’elle était à lui, même si elle ne le voulait pas. Sa bouche se posa sur la sienne et il goûta le laudanum sur ses lèvres. Lui aussi avait besoin d’oublier. Oublier qu’elle ne l’aimait pas, oublier qu’elle s’éloignait un peu plus de lui à chaque minute qui passait, oublier qu’elle allait mourir. Leurs langues se nouèrent tandis que Jack passait doucement sa main sur son corps amaigri. Encore un peu. Encore une fois.
Dans ses bras, Elizabeth gémit et se laissa retomber en arrière sur le lit tandis qu’il se plaçait sur elle, le regard empli de désir et d’autre chose qu’elle n’avait jamais vu dans ses yeux. Lentement Jack s’enfonça en elle, plus doux qu’il ne l’avait jamais été avant de l’embrasser à nouveau avec une ardeur désespérée, gémissant dans sa bouche. Elizabeth crispa ses mains sur ses épaules et se laissa emporter. C’était si doux, si bon, presque comme s’il l’aimait vraiment. Finalement Jack se lâcha en elle avec un soupir avant de glisser sur le côté et l’attira contre lui. Il la voulait encore. Seulement elle. Il ne voulait pas qu’elle parte. L’avoir à bord était une mauvaise idée mais ne plus l’avoir serait pire. Elizabeth soupira et se serra malgré elle dans ses bras avant de glisser dans un sommeil sans rêves, ses doigts faiblement crispés sur son bras pour le retenir un peu. Juste quelques minutes avant qu’il la haïsse à nouveau….
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