Son seul amour

Assise sur l’unique chaise qui meublait la mansarde qu’elle s’était appropriée quelques mois plus tôt, Elizabeth Turner, née Swann, poussa un soupir las. Dans sa gorge des sanglots s’étranglèrent une fois de plus et la jeune femme se força à se lever. Ce faisant, elle passa la main sur son ventre rebondi et un nouveau soupir lui échappa.

Elle songea qu’elle ne saurait que dire à son enfant le moment venu. Elle ne saurait pas lui expliquer pourquoi son père n’était pas là… Elizabeth eut soudain l’impression d’étouffer et ouvrit la porte à la volée. Là, elle se précipita vers l’océan et s’immobilisa au bout de la falaise sur laquelle elle avait élu domicile.

Les yeux d’Elizabeth se perdirent à l’horizon et un mélange de dégout et fascination illumina son visage alors qu’elle contemplait celle qui lui avait tout donné et tout repris. La mer.

La main d’Elizabeth se posa une nouvelle fois sur son ventre et elle soupira. Non, elle ne saurait pas quoi dire à son bébé une fois qu’il serait né.

Comment lui parler des baisers passionnés, des étreintes avides, de l’ardeur qu’elle avait ressentie dans les bras de son père ? Comment lui expliquer sa solitude et l’absence d’un homme dans sa vie ? Comment lui dire que la mer qu’elle avait jadis tant aimée la dégoutait à présent ? Que parfois tout l’amour du monde ne suffisait pas ?

Les mains d’Elizabeth se crispèrent sur son ventre et des larmes brillèrent dans son regard alors qu’elle se souvenait de lui.

Ils s’étaient rejoints six mois plus tôt, à la faveur d’une escale joyeuse. Ils avaient bu, ils avaient parlé, s’étaient embrassés, s’étaient aimés. Cela avait duré neuf jours. Neuf jours d’une passion brûlante et dévastatrice qui avait laissé son empreinte dans le cœur de la jeune femme. Et dans son corps aussi.

Elizabeth soupira à nouveau et se demanda si l’enfant aurait son sourire, ses yeux ou peut être ses cheveux… Un sourire amer lui échappa à la pensée que l’enfant qui grandissait dans son ventre aurait dû être celui de son époux, de son Will forcé d’écumer les mers pendant dix longues années avant de les rejoindre pour une seule journée. Un père dont elle aurait pu expliquer l’absence.

Mais le père du son enfant n’était pas le tendre Will comme il se devait.

Elizabeth se crispa et songea au pirate qui lui avait ravi son cœur.

« Jack. » Souffla-t-elle.

Le bruit des vagues se brisant quelques mètres plus bas emporta son murmure et un sourire désabusé échappa à la jeune femme.

Toujours la mer. L’océan qui prenait tout sans rien laisser que les souvenirs, l’amertume et l’enfant à venir.

Les yeux clos, Elizabeth écouta la mer, le bruit des oiseaux et des vagues. Chaque fois que l’océan se brisait contre la falaise où elle se tenait, il lui semblait entendre les mots que Jack lui avait adressés avant de la quitter.

«  Désolé, Lizzie. Mais mon seul amour est la mer. »

Elizabeth réprima un nouveau sanglot. Oui, son seul amour était la mer. Et elle n’avait pas pu lutter contre elle. Après tout, elle n’était qu’une femme. Ses mains se posèrent à nouveau sur son ventre et elle sourit avec tristesse. Elle n’était qu’une femme mais bientôt, elle serait mère. Et à son tour, elle oublierait Jack et peut être même Will. Parce que pour elle son seul amour était son enfant. Et elle ferait tout pour lui. Jusqu’à lui inventer un autre père.

Que Jack garde la mer puisque c’était son seul amour, elle, elle serait mère puisqu’à son tour, elle avait trouvé son amour.

Sur cette pensée, Elizabeth se détourna enfin et reprit le chemin de sa maison, le cœur un peu plus léger alors qu’à chaque pas qui l’éloignait des vagues, elle oubliait un peu plus le sourire du pirate qui lui avait tout donné et tout repris.