Le Hollandais Volant, pas notre monde
Sur le pont du navire silencieux, Will regardait le soleil se lever sur une nouvelle journée dans son monde. Aucun des marins ne bougeait, ils savaient depuis longtemps que ce moment de recueillement était le plus important de la journée aux yeux de leur capitaine. Droit, le regard parti dans un ailleurs, Will scrutait l’horizon, toutes ses pensées tournées vers Elizabeth, se demandant ce qu’elle faisait, où elle était….
Saisi par la solennité de l’instant, Gibbs s’approcha doucement de Bill et l’interrogea à voix basse.
« Pourquoi gardez-vous tous le silence ? Et pourquoi Will a-t-il l’air si grave ? »
Bill, le regarda d’un air affligé, le cœur serré devant l’injustice du sort qui frappait son fils.
« Lorsque le soleil se lève dans notre monde, il se couche dans le sien. » Se contenta-t-il de répondre.
Gibbs mit un moment avant de comprendre que Bill parlait d’Elizabeth et une expression peinée vint assombrir son bon visage.
« C’est vrai… Pauvres petits, à peine mariés et déjà si cruellement séparés. » Murmura Gibbs comme s’il venait de réaliser le tragique de la situation
Will, une expression tendue sur le visage s’approcha et les deux hommes se turent brusquement, ne voulant pas en ajouter encore davantage à sa peine visible. Le regard triste mais s’efforçant bravement de cacher la souffrance chaque jour plus vive que lui causait l’absence, Will sourit à Gibbs et l’invita à le suivre dans sa cabine. Une fois à l’intérieur, Will leur servit à chacun une chopine de rhum qu’ils dégustèrent en silence jusqu’à ce que Will se décide à le briser.
« Alors dis-moi Gibbs dans quelle aventure s’est encore engagé Jack ? »
Gibbs haussa les épaules, ne sachant pas comment répondre à la question.
« Bah j’sais pas trop en fait. Je pensais qu’il allait à nouveau tenter de récupérer le Pearl mais apparemment ça n’est pas le cas.
- Jack s’est fait voler le Pearl ? Demanda Will que la nouvelle surprenait
- Oui. Se contenta d’abord de répondre Gibbs, un peu gêné, conscient que c’était son manque de vigilance à lui qui avait permis à Barbossa de voler le navire, avant de reprendre plus clairement. A Tortuga, Barbossa a lâchement intrigué et a profité d’un moment d’inattention pour se mutiner et voler le navire. »
Will sourit légèrement devant l’air embarrassé du vieil homme et devina sans peine de quelle « inattention » avait profité Barbossa.
« Et que peut bien faire Jack alors s’il ne court pas après son Pearl ? Je l’imagine mal se contenter d’une vie à terre. »
Gibbs haussa les épaules en guise d’ignorance.
« Bah je sais pas trop, au dernières nouvelles, il avait rejoint l’Empress. » Annonça-t-il d’un ton insouciant.
A ces mots, le sourire de Will mourut sur ses lèvres et sa main se crispa sur sa chopine, l’esprit envahi par un doute affreux. L’Empress, le navire d’Elizabeth, de tous les bâtiments sur lesquels Jack aurait pu trouver refuge il avait fallu qu’il choisisse celui-ci. Inconscient de la jalousie qui s’installait insidieusement en Will et qui peu à peu pervertissait son âme, Gibbs continua à babiller joyeusement, et à évoquer les souvenirs heureux des moments passés auprès de Jack…
L’Empress, en mer
Cela faisait maintenant des jours qu'ils naviguaient, s'approchant de plus en plus des chaudes eaux de la mer Ionienne, et au moins autant de temps que Jack et Elizabeth s'ignoraient. Depuis leur altercation et la sortie bouleversée d'Elizabeth qui l'avait suivie, la jeune femme évitait scrupuleusement Jack. Elle passait le plus clair de son temps cloîtrée dans sa cabine à calculer trajectoires et autres itinéraires. Elle n'avait plus jamais raté le coucher du soleil, tant elle était dévorée par la culpabilité d'avoir caressé un instant le souvenir des moments passés avec Jack. De son côté le pirate restait lui aussi prudemment à distance, pourtant, cette situation lui pesait étrangement sur le cœur, tandis qu'il se persuadait que ne plus entretenir la moindre relation avec Madame Turner était le mieux pour lui et pour sa santé.
Elizabeth, assise à sa table de travail, ouvrit pour ce qui lui sembla être la centième fois de la journée le compas de Jack. L'aiguille oscilla et se mit à tourner rapidement en tous sens sans parvenir pas à se fixer sur une direction comme c'était le cas depuis déjà plusieurs jours. Avec un soupir exaspéré, Elizabeth referma sèchement le boîtier noir et se leva pour avancer jusqu'à la fenêtre. Elle appuya son front contre la vitre froide dans le vain espoir que la fraîcheur l'aiderait à clarifier ses pensées. Bien évidemment, elle voulait trouver le péridot qui lui donnerait le moyen de sauver Will mais elle avait aussi désespérément besoin de parler à quelqu'un. Chaque jour qui passait ne faisait que rendre plus insupportable sa solitude et les souvenirs, même les plus chers, ne suffisaient pas à combler le manque qui la dévorait de plus en plus.
Jack passa devant sa cabine et grimaça en voyant sa mince silhouette tremblante tournée vers l'horizon, la respiration si ralentie qu'aucun bruit ne brisait le silence de mausolée hormis celui fait par les battements réguliers du cœur de Will. N'y tenant plus, ne pouvant plus supporter de voir la jeune femme battante qu'il avait connue s'enfoncer chaque jour un peu plus dans le désarroi, Jack traversa la pièce silencieusement et vint s'appuyer à ses côtés. Elizabeth se tourna vers lui, le visage bouleversé.
« Oh Jack. Commença-t-elle, une fêlure dans la voix avant de se jeter instinctivement dans ses bras. Je n'y arriverais pas c'est trop dur. » Murmura-t-elle avant d'exploser en sanglots
Le cœur battant à tout rompre, Jack referma ses bras autour d'elle, l'enveloppant entièrement et respira à pleins poumons le parfum enivrant de ses cheveux alors que les larmes brûlantes de la jeune femme glissaient le long de son cou.
« Bien sûr que si vous y arriverez. Vous êtes la reine des pirates non ? Lui dit en l’écartant légèrement de lui pour essuyer ses larmes. Et les reines ne pleurent pas, elles se battent… »
Elizabeth le regarda, le cœur un peu raffermi, et se força à sourire.
« Vous avez raison. Merci Jack. »
Le pirate lui sourit d’un air nostalgique.
« Vous n’avez pas à me remercier trésor. J’en ai juste assez de vous voir enfermée dans cette cabine en train de vous lamenter. Ce n’est pas comme ça que se comporte ma Lizzie. » Ne put-il s’empêcher d’ajouter
Elizabeth se raidit instantanément et s’écarta rapidement de lui.
« Je ne suis pas votre Lizzie, Jack ! Je suis mariée à Will et par conséquent vous ne m’intéressez pas, combien de fois faudra-t-il que je vous le répète pour que vous le compreniez ! »
Jack la laissa, regrettant un peu d’avoir brisé le charme de l’instant et reprit le ton joueur qui était habituellement le sien.
« Vous aimeriez tellement vous en convaincre Lizzie…
- Oh vous ! »
La jeune femme sortit à grands pas rageurs de sa cabine, ce qui amena un sourire triste sur les lèvres de Jack. Il avait réussi à la sortir de son apathie, même si en faisant ça il l’éloignait un peu plus de lui.
Ithaque, mer Ionienne
Cutler Beckett débarqua d’un pas impatient et déploya ses hommes sur la petite île où la vie s’écoulait tranquillement. Son sourire devint un peu plus féroce en croisant les regards effrayés de certains habitants devant son visage atrocement mutilé. Il déploya la carte qui était entrée en sa possession grâce au sang de nombreux hommes et s’engagea dans les rues.
D’un pas assuré il pénétra dans les ruines de ce qui avait été le palais d’Ulysse et se dirigea vers la salle du trône, persuadé que le péridot ne pouvait se trouver qu’ici. Autour de lui, les soldats gardaient le silence, impressionnés par le calme de l’endroit et conscients que leur visite était un sacrilège.
Beckett s’arrêta devant le trône et cilla un instant en découvrant une femme majestueuse déjà installée. Son regard glissa un instant sur la pureté du visage aux lignes pures qui soulignaient une haute naissance et il lui adressa son sourire de cour, rendu grotesque par les brûlures qui le défiguraient.
« Je crois que vous avez la chose que je désire. Commença-t-il
- Que venez-vous faire ici ?
- Le péridot. Donnez-le-moi. Maintenant, sans quoi mes hommes se verront forcés de vous le prendre par la force. »
La femme se leva, le visage déformé par la colère.
« Vous n’êtes pas en position de m’obliger à faire quoique ce soit, de plus vous ne parviendriez pas à l’utiliser. Vous n’avez pas le cœur assez pur pour cela. »
Beckett accusa le coup avant de reprendre d’une voix basse et cruelle.
« Dans ce cas je trouverais une personne qui pourra s’en servir, en attendant ... »
Au grand effarement de ses hommes Beckett se dirigea vers l’arc emplit de poussière qui se trouvait dans un coin de la pièce. La femme se leva d’un geste brusque.
« Comment sais-tu ? »
Beckett ne répondit pas, l’air cruel, il banda l’arc et la menaça.
« Comme il est écrit sur le parchemin, vous devez maintenant me donner la pierre. Votre rôle de gardienne s’arrête ici Périboéa. »
La nymphe recula et, à regret, lui tendit la pierre.
« Je te l’ai dit, elle ne te servira pas. Ton cœur est empli de rage et de haine. »
Sans lui laisser le temps de finir Beckett lui prit la pierre des mains tandis que la nymphe s’effaçait.
« Nous verrons bien qui viendra la chercher dans ce cas. Car ils viendront, je le sais. Et cette fois c’est moi qui aie un coup d’avance. Murmura-t-il en regardant vers l’horizon. Je vous attends Jack. »
Antre de Calypso, fond de l’océan
Calypso referma le globe avec un air satisfait. Décidément ce Beckett se révélait être un atout de choix. Elle sourit au souvenir de la mine déconfite de Périboéa lorsqu’il avait réussi à bander l’arc légendaire d’Ulysse, la seule arme qui pouvait tuer cette petite garce et l’avait ainsi forcée à lui laisser le péridot sans lutter. A présent, il ne restait plus qu’à attendre.
Attendre qu’Elizabeth Turner arrive à Ithaque en croyant trouver le péridot et en pensant naïvement lui arracher Will.
- Mais c’est la mort que tu trouveras Elizabeth. Murmura Calypso en jetant un regard vers Beckett qui admirait le péridot à la lumière du soleil couchant. La main du destin est sur toi à présent.
Après ces mots elle laissa retomber sa main pour retrouver les forces qu’elle avait données à Beckett pour qu’il réussisse à bander l’arc.
L’Empress, barre
Animée d’une énergie retrouvée, Elizabeth barrait son navire à travers les eaux tumultueuses qui délimitaient l’entrée dans la mer Ionienne. La chaîne au bout de laquelle était accrochée la clef du coffre reposait bien au chaud contre son cœur et suffisait à la rassurer, à lui rappeler ce qu’elle faisait là et pour qui. Que le compas de Jack ne fonctionne qu’une fois sur deux importait peu. Elle avait son cap à présent. Et bientôt sa solitude prendrait fin.
Elle chercha du regard Jack et plongea dans ses yeux pour y puiser la force dont elle avait tant besoin pour aller au bout. Elle lui sourit, un sourire dont la chaleur était perceptible par tous. Jack avait raison. Les reines ne pleuraient pas, elles se battaient.
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