Un mois et demi avait passé depuis la demande en mariage de Will et l'annonce de ses fiançailles avec Elizabeth Swann. Bien entendu la nouvelle avait fait le tour des Caraïbes et avait reçu un accueil mitigé chez la haute société. En effet beaucoup chuchotaient à mots couverts qu'une souillure était à l'origine d'un mariage aussi hâtif et aussi peu prestigieux pour la fille du Gouverneur. Mais Elizabeth, si elle entendait les rumeurs, s'en moquait bien, toute à son bonheur d'être bientôt Madame William Turner.
Ce jour-là, accompagnée d'une de ses rares amies, Éva, elle revenait de chez sa couturière et babillait joyeusement sur la douceur incomparable du satin crème qu'elle avait choisi pour orner sa robe de mariée. Éva, la bouche dissimulée derrière sa main, étouffa un rire nerveux en entendant son amie vanter les mérites futurs du mariage.
« Elizabeth, dis-moi… Chuchota-t-elle. Et la nuit de noce ? Tu y as pensé ? Tu sais ce que ça fait ? »
Elizabeth s'arrêta un instant et songea au trouble et à la douce chaleur de ses reins lorsqu'elle était proche du corps de Will.
« Et bien, je suppose. Que ce doit être délicieux, non ? »
Éva gloussa, rougissante.
« La fille de Madame Tocthich qui s'est mariée l'année dernière, tu sais Mary…
- Oui je sais. Coupa impatiemment Elizabeth.
- Et bien. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais rien connu de plus désagréable que sa nuit de noce, qu'elle s'était sentie déchirée et qu'elle ne souhaitait ça à personne. »
Vaguement inquiète, Elizabeth s'arrêta brusquement.
« Ah oui …
- Oui et… Commença Éva en baissant encore la voix. Il parait que son mari entretient des pratiques révoltantes.
- Quel genre de pratiques ? » Demanda Elizabeth sur le même ton.
Éva s'arrêta brusquement.
« Mais comment veux-tu que je le sache ? On ne parle pas de ces choses là voyons ! Ça ne se fait pas !
- Bien sur… Répondit Elizabeth, amusée en songeant que pourtant c'était devenu le sujet de conversation préféré de son amie. Allez viens on rentre. »
Éva prit son bras avec familiarité et chuchota à nouveau.
« Elizabeth ?
- Oui ?
- Tu me raconteras ? Tu sais, ce que ça fait… »
Elizabeth sourit en imaginant son intimité avec Will et jeta un regard en coin à son amie.
« Je ne crois pas non … Tu devras attendre de te marier toi aussi. La taquina-t-elle. A ce sujet, as-tu trouvé l'élu de ton cœur ? »
Éva évita son regard un instant avant de dire du bout des lèvres.
« Le Commodore Norrington me rend visite assez régulièrement depuis son retour il y a deux semaines.
- Oh …. Lâcha Elizabeth avant de se reprendre. Et te plaît-il ?
- Pas plus qu'à toi. Crâna Éva. Mais je n'ai guère d'autres options à moins d'une mésalliance… Oh excuse-moi Elizabeth. »
Elizabeth sourit légèrement, un peu décontenancée d'apprendre que James Norrington se rendait chez Éva alors qu'il ne lui avait même pas rendu une visite de politesse depuis son retour. Mais elle devait s'avouer que la chose était compréhensible et que, somme toute, elle était plutôt contente que son prétendant éconduit retrouve une nouvelle fille à courtiser.
« James n'est pas si mal. Seulement, mon cœur bat ailleurs. » Répondit-elle en souriant involontairement à l'évocation de Will.
Éva éclata de rire.
« Ça je crois que tout le monde l'a compris. »
Elizabeth la regarda avant d'éclater de rire à son tour. Elle se sentait libre, heureuse… Elle allait bientôt épouser l'homme de ses rêves et la vie lui semblait pleine de promesses.
Bras dessus, bras dessous, les deux jeunes filles progressaient lentement dans la ville sans faire attention à la misère qui s'étalait sous leur pied ou à la surprise des passants devant ces deux jeunes aristocrates qui allaient à pied. Soudain une femme sombre se matérialisa devant eux, souriant de toutes ses dents noircies.
« Mesdemoiselles, voulez-vous connaître votre avenir ? »
Éva, vaguement inquiète se tourna vers Elizabeth qui dévisageait la femme d'un œil rond.
« L'avenir … Et bien nous le connaissons notre avenir ! »
La femme s'inclina servilement devant elles, un sourire aux lèvres.
« Une petite pièce et tous ses secrets vous seront révélés… »
Elizabeth se tourna vers le domestique, qui elle le savait, les suivait de loin depuis leur promenade et lui fit signe d'apporter sa bourse.
« Et bien, pourquoi pas dans ce cas ? »
La femme s'inclina devant elle, un sourire ironique aux lèvres et se tourna vers Éva.
« Vous ! Tendez votre main… »
Avec un gloussement amusé Éva tendit sa main et sa paume blanche se retrouva au creux de la main noire et crasseuse de la devineresse. La femme leva ses yeux sombres sur elle.
« Vous avez de nombreux projets amoureux mais le destin se refuse à vous exaucer pour l'instant … Il y a un obstacle, un très gros obstacle mais celui-ci finira par disparaître et vous pourrez goûter le bonheur auquel vous avez droit. » Sourit-elle.
Éva retira précipitamment sa main, un peu troublée par la prédiction, et regarda Elizabeth.
« A toi … Mon amie va se marier. » Expliqua-t-elle à la femme.
Un sourire aux lèvres, Elizabeth posa sa main dans celle, chaude de la voyante.
« Alors combien d'enfants vais-je avoir ? » Plaisanta-t-elle, n'ayant jamais cru aux diseuses de bonne aventure.
La femme se troubla et la regarda rapidement, étudiant les traits de son visage.
« Vous … toute votre vie est guidée par un destin…Vous croyez pouvoir lui échapper mais la mer vous appelle … Un jour ou l'autre vous y succomberez … »
Elizabeth blêmit et tira sèchement sur sa main.
« J'ai déjà fait l'expérience de la mer. Et croyez moi je doute de la refaire à nouveau. »
La femme secoua la tête avec tristesse.
« Vous ne pourrez pas résister… Son appel sera plus fort que vous. Elle vous attendra au bout de la route … Lorsque tout ce qui vous retient aura sombré… »
Elizabeth, agacée, se tourna vers le domestique qui les suivait.
« Payez cette femme pour ses services.
- N'oubliez pas Elizabeth Swann… Le destin vous guide, la mer vous appelle ! » Cria la femme derrière elle tandis que les deux jeunes filles s'éloignaient à grands pas.
Elizabeth soupira lourdement.
« J'en ai assez de ces histoires d'océan…
- Allons. Tu t'en moques non ? Tu vas bientôt épouser Will…
- Oui. Sourit Elizabeth avant de se tourner vers son amie. Ça te dérange si je te laisse ? J'aimerais passer voir mon fiancé … »
Éva sourit.
« Non du reste, je suis moi aussi pressée, le Commodore Norrington vient souper ce soir …
- Oh, et bien entendu tu dois te préparer pour l'élu de ton cœur. » La taquina Elizabeth avant de s'éloigner.
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Assis sur un tabouret, Will, une expression concentrée sur le visage s'efforçait de visualiser la lame qu'il avait à forger sans toutefois y parvenir. Il soupira et relâcha son ouvrage, son regard errant sur la forme endormie et ronflante de Mr Brown.
« Bien sûr… Il est inutile de lui demander s'il a des idées…
- A quel sujet devrait-il avoir des idées ? »
Will, un sourire aux lèvres se tourna vers Elizabeth.
« Je pensais justement à toi
- Oh et c'est à mon sujet que tu voulais que Mr Brown te donne des idées ? »
Will s'approcha d'elle et embrassa légèrement les lèvres qu'elle lui tendait.
« Oh non en ce qui te concerne j'ai toutes les idées dont j'ai besoin…
- Vraiment et quelles sont-elles Mr Turner ?
- Ce ne serait pas convenable de les dire avant le mariage. » Souffla-t-il en rougissant légèrement.
Elizabeth sentit son cœur s'accélérer en serra étroitement Will contre elle.
« Tu m'as tellement manqué. Murmura-t-elle contre ses lèvres.
- Toi aussi, chaque minute passée loin de toi me semble plus longue qu'une heure. »
Elizabeth se serra contre lui et scella leurs bouches en un profond baiser.
« J'ai tellement hâte d'être ta femme. » Murmura-t-elle.
Will sourit tendrement avant de poser un regard inquiet sur elle.
« Qu'est-ce qui te tourmente ? »
Elizabeth évita un instant son regard avant de sourire.
« Rien, une broutille…
- Dis le moi. Murmura Will en caressant sa joue.
- Juste. Dis moi, si un jour… Je… J'étais forcée de partir … Tu viendrais avec moi ?
- Évidemment ! Elizabeth je ne t'abandonnerais jamais…Pourquoi cette question ?
- Pour rien. Une idée stupide. Sourit la jeune fille en nichant sa tête dans son cou.
- Petite folle… » Murmura Will qui enfouit son visage dans ses cheveux pour s'enivrer de son parfum
Le cœur battant, Elizabeth se laissa aller contre le torse de Will. Elle n'avait aucune raison de s'inquiéter dans deux semaines elle serait Madame William Turner….
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Will se présenta avec timidité à la porte du bureau du Gouverneur Swann, un peu inquiet à l'idée que le Gouverneur l'ait convoqué à deux semaines de son mariage avec sa fille. Arborant un air décidé, il pénétra dans le bureau de son futur beau-père, prêt à défendre son amour pour Elizabeth s'il advenait que son père ait brusquement changé d'avis.
Absorbé dans une liasse de papiers, Weatherby lui fit signe de s'asseoir avant de relever la tête l'air satisfait.
« Comment allez-vous William ?
- Bien Monsieur. Répondit poliment Will, attendant la suite.
- Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous ai fait venir ici, à deux semaines de votre mariage avec ma fille.
- En effet Monsieur.
- Bien dans ce cas je ne vais pas vous faire attendre plus que nécessaire. Je voulais vous faire part de la dot d'Elizabeth.
- Sa dot ? »
Weatherby le regarda avec bonhomie.
« Oui, sa dot. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il est d'usage que la mariée ou plutôt sa famille apporte un certain nombre de choses dans la corbeille de mariage ?
- Je n'y avais jamais songé. » Murmura Will qui mesura une fois de plus le gouffre social qui s'étendait entre Elizabeth et lui.
Le gouverneur soupira brièvement et se pencha pour donner une feuille à l'écriture jaunie à Will
« Qu'est-ce que c'est ?
- La dot d'Elizabeth…. Vous aurez une certaine somme en liquidité ainsi qu'une demeure, certes plus modeste que celle-ci mais néanmoins confortable non loin de la forge. Les gages des quelques domestiques sont payés pour un an. »
Rougissant, Will repoussa la feuille vers son futur beau-père.
« Me croyez-vous incapable de subvenir aux besoins de ma femme ? »
Avec un petit signe d'apaisement, le Gouverneur reprit la parole.
« Mon garçon, outre le fait qu'Elizabeth est une jeune femme charmante et distinguée, elle est aussi habituée à un certain train de vie… Cette somme ou plutôt cette dot a pour seul but de vous aider à vous installer.
- Vous craignez que je ne sois pas à la hauteur. Grinça Will. Une maison, des domestiques, de l'argent …
- Ce ne sont que des cadeaux … Vous arrangerez le reste à votre goût et selon vos moyens.
- Vous ne m'avez pas répondu Gouverneur …
- Et bien je crois que vous comme moi, vous voulez ce qu'il y a de mieux pour Elizabeth non ? Ne me refusez pas ce cadeau de mariage, c'est mon unique enfant Will… »
Will soupira lourdement.
« Et que pense Elizabeth de tout ceci ?
- Je ne lui en ai pas encore parlé, j'attendais de connaître votre réaction, précaution que je me félicite à présent d'avoir prise. »
Will réfléchit longuement… Il savait qu'il n'avait pas les moyens nécessaires pour apporter à Elizabeth tout le confort auquel elle avait été habituée et prendre l'argent de son beau-père lui déplaisait au plus haut point, mais…
« Seul le bonheur d'Elizabeth compte à mes yeux. Aussi, je vous remercie. » Décida-t-il, acceptant la dot.
Le visage de Weatherby s'éclaira à cette réponse.
« Bien vous avez fait le bon choix Will et je suis sûr qu'au vu du travail que vous réalisez, vous serez bientôt à même d'offrir à ma fille tout ce dont elle rêve. »
Will sourit à ce compliment auquel il ne s'attendait pas.
« Merci Monsieur. Un artisan aime à savoir que son travail est apprécié.
- Et un père à savoir qu'il remet sa fille entre de bonnes mains. »
Les deux hommes se jaugèrent un instant avant de se sourire.
Le Gouverneur fut le premier à rompre le silence.
« Bien Will. Je vous prie de m'excuser mais l'envoyé de la Compagnie des Indes arrive ce jour même à Port Royal et je me dois de l'accueillir.
- Oh bien sûr, oui le nouvel envoyé, il me semble que le Commodore Norrington m'en avait parlé.
- En effet. » Grimaça le gouverneur avant de sortir.
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Weatherby Swann avança un sourire aux lèvres après son entrevue avec Will, finalement le jeune homme avait su mettre de côté son orgueil pour assurer le bonheur de sa fille et cette qualité lui plaisait et le confortait dans l'idée qu'il avait fait le bon choix en autorisant le mariage de sa fille avec le jeune forgeron. James Norrington vint rapidement prendre place à ses côtés, engoncé dans son lourd costume d'apparat.
« Ah vous voilà James ! Alors dites-moi la chasse au pirate a été bonne ?
- Gouverneur… Je ne serais pas là sinon, mon seul regret est que ce Sparrow demeure introuvable…
- Oh vraiment ?
- A croire que ce diable d'homme a disparu de la surface de la terre. Maugréa James avant de désigner un homme à cheval qui arrivait. Le voilà je crois. »
L'homme richement habillé mis pied à terre avec souplesse et se tourna vers les deux notables qui s'empressaient de l'accueillir. Le gouverneur écarquilla les yeux en le reconnaissant.
« Cutler Beckett ?
- Je suis Lord à présent, Gouverneur Swann, tâchez de vous en rappeler. »
Le gouverneur grinça des dents devant la rebuffade et tenta de se justifier.
« Oui, on m'avait annoncé un Lord Beckett mais je n'avais pas pensé que …
- Qu'il s'agirait de moi, je l'avais compris. » Coupa Beckett avec impatience et laissa son assistant le débarrasser de son manteau.
Le gouverneur se reprit tandis que Beckett détaillait la ville, une expression avide sur le visage.
« Laissez-moi donc vous présenter le Commodore James Norrington qui veille sur notre ville.
- Commodore Norrington, oui… On m'a parlé de vous. Vous êtes l'incapable qui a laissé Sparrow s'enfuir alors qu'il allait être pendu. »
Norrington se crispa à ces mots mais Beckett ne lui laissa pas le temps de réagir.
« Du reste je compte bien employer les prochaines semaines à découvrir comment un tel ratage a pu survenir. Et croyez-moi, je ne m'arrêterais pas tant que toute la lumière sur cette affaire n'aura pas été faite et les responsables punis comme ils le méritent. A présent je vais prendre possession de mes appartements. Je vous verrais plus tard et nous reparlerons de tout ceci Commodore. Gouverneur. » Ajouta-t-il avec un vague signe de tête à l'adresse de ce dernier.
Norrington et le Gouverneur ne purent qu'échanger un regard inquiet tandis que Cutler Beckett se remettait en marche après les avoir purement et simplement congédiés…
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