Singapour,
Vêtue d’un long kimono de soie bleutée, Elizabeth Turner regarda s’éloigner la jonque de Mistress Ching. Puis elle rabattit les bords du large chapeau qu’elle avait « emprunté » au Capitaine Barbossa et se tourna résolument vers le quai. Son apparition provoqua quelques rires chez les hommes assemblés. Il fallait reconnaître que le chapeau pompeux et le kimono de soie n’étaient guère assortis, mais Elizabeth sembla ne pas s’en rendre compte. Sans se soucier des quolibets, elle se dirigea droit vers le repère de Sao Feng.
L’endroit était encore plus désert que lors de sa première visite, il y avait de cela des années à ce qui lui semblait. Elizabeth regard prudemment autour d’elle puis pénétra dans la forteresse. Comme elle s’y attendait l’endroit était désert. Tai Huang était certes stupide mais pas au point d’utiliser une cache qui avait été découverte par les soldats de la Navy.
Elizabeth laissa son regard errer sur le décor. Tout était à l’abandon. La chaleur des bains de vapeur avait disparu à l’instar des hommes aux corps tatoués et des servantes élégantes. Comme si la forteresse avait cessé de vivre lorsque Feng était mort. La jeune femme repoussa loin d’elle la vague de nostalgie qui menaçait de l’envahir et écarta d’un coup de pied rageur le baquet dans lequel Will avait été plongé.
Elizabeth frissonna et s’empressa vers le foyer dans lequel substituaient quelques bûches qui témoignaient de la rapidité avec laquelle l’endroit avait été abandonné des mois plus tôt. Son premier souci fut d’allumer un feu et elle y parvint au terme d’une dizaine de tentatives. Alors seulement, Elizabeth se laissa tomber sur le sol et s’autorisa à penser.
Elle avait passé les dernières semaines sur le navire de Mistress Ching à remâcher sa rage. Envers Calypso la trompeuse tout d’abord, puis envers Barbossa et ses tentations, envers Tai Huang le mutin et enfin envers elle-même. Elle s’avouait franchement qu’elle était en grande partie responsable du désastre qui avait soldé sa tentative de rachat de la liberté de Will. Sa principale erreur avait été de ne pas songer à conclure un accord avec Calypso avant d’agir. La seconde de ses erreurs était d’avoir fait confiance à Tai Huang. Ou plutôt de l’avoir sous-estimé.
Comme toujours lorsqu’elle pensait à son second, Elizabeth serra les dents. Tai l’avait trahie de la plus vile manière qui soit. A cause de lui, elle s’était retrouvée en prison. Une cellule froide et inhospitalière où elle n’avait pas eu d’autre choix que de s’offrir à Barbossa pour se réchauffer ou mourir. Elle avait choisi la première solution. Troisième erreur. Même si l’alliance avec Barbossa n’avait eu aucune conséquence sur ses relations avec le pirate, elle l’avait enchaînée aux fantaisies de Calypso. A cause de Will. Parce que non contente d’avoir échoué à le libérer, Elizabeth l’avait condamné à dix années de charge supplémentaire. Tout ça pour quelques étreintes hâtives avec Barbossa. Pour un peu elle en aurait pleuré.
Mais Elizabeth Turner n’avait plus de larmes. Elle avait passé des mois à pleurer Will, puis d’autres mois encore emprisonnée. Elle venait de passer des semaines sur le navire de Mistress Ching. Elle avait poursuivi l’Empress jusqu’au Caraïbes mais la jonque était déjà partie. Alors elle avait accepté l’offre de Mistress Ching et était revenue à Singapour. De là, elle récupérerait son navire. Puis elle retrouverait l’île de la Muerta. Parce qu’il existait un moyen de réparer la faute commise avec Barbossa : Offrir La croix de Ponce Pilate à Calypso. En échange, Will ignorerait toujours son infidélité et serait libre au bout des dix premières années de sa charge. Elle n’avait pas le droit d’échouer.
Elizabeth serra les dents à cette pensée puis détourna les yeux du feu qui chatoyait. Elle avait faim. Il était temps de se trouver à manger. Une fois l’estomac plein, elle songerait à son plan.
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Elizabeth ne fut pas longue à trouver des armes. Ce qui était logique attendu que la forteresse avait été un repère de pirates. Son ventre gronda et elle posa un regard vide sur un rat avant de se reprendre. Après son passage dans les geôles de Pavlov elle s’était fait plusieurs promesses. La première était de ne plus jamais se mettre en position d’avoir froid. La seconde de ne plus jamais manger de rat. Et elle entendait bien les tenir.
Alors qu’elle se mettait en quête de nourriture, Elizabeth songea à la dernière promesse qu’elle s’était faite. Will ne saurait jamais son infidélité. Elle aurait pu se jurer de ne jamais recommencer. Mais contrairement à la question des rats et du froid, elle n’était pas certaine de ne pas avoir à moyenner son corps à nouveau. Et elle était bien forcée de reconnaître que même sans cela elle n’était pas sûre de ne pas succomber à nouveau à l’appel de la chair. Son expérience avec Barbossa avait été suffisamment édifiante pour lui ouvrir les yeux. Son corps avait besoin de caresses et elle doutait d’être capable d’y résister pendant dix ans. Ce qui n’avait aucune importance dès l’instant où elle remplissait sa part de marché et fournissait La Croix de Ponce Pilate à Calypso. Une fois que cela serait fait et qu’elle aurait retrouvé Will, elle aurait bien le temps d’être la femme fidèle qu’elle aurait toujours été si les circonstances lui en avaient laissé le choix.
Un cri de victoire lui échappa alors qu’elle refermait la main sur un sac de riz quasi intact. Elizabeth ôta les insectes qui s’y étaient glissé d’une main assurée et entreprit la cuisson. Alors qu’elle procédait, elle ne songea pas une seule fois qu’elle avait peut-être déjà trop changé pour redevenir le moment venu l’épouse que Will avait laissée.
Tortuga,
Un bandana encerclant son crâne, Hector Barbossa ouvrit la porte de l’auberge d’un coup de botte agacé. Depuis qu’il avait perdu, non depuis qu’on lui avait volé son chapeau, plus rien n’allait. L’équipage qu’il avait recruté quelques mois plus tôt à Singapour s’était avéré d’une rare incompétence et le bateau qu’il avait volé avait coulé.
Il ne devait sa survie qu’à son bon sens et à une part de chance même s’il lui répugnait de l’admettre. Le tenancier haussa le sourcil à la vue de sa tenue dépenaillée et s’approcha de lui.
« C’est un établissement honnête ici, si t’as pas de quoi payer tu dégages. »
Hector se retourna vers lui, furieux.
« Honnête ? Un repaire de pirates ?
- Si t’as pas de quoi payer tu sors. »
Pour un peu, Barbossa se serait étouffé de rage. Comment cet homme osait il lui parler ainsi ? Depuis quand s’adressait on avec mépris au Capitaine Barbossa, la terreur des sept mers ???
La réponse était évidente : depuis que cette fichue Elizabeth Swann avait pris le large avec son chapeau et le compas de Sparrow. Barbossa remâcha sa rage envers la jeune femme et se tourna vers l’aubergiste.
« C’est ainsi que tu t’adresses au Capitaine Barbossa ?
- Barbossa ? Ricana un homme non loin d’eux. Hector Barbossa est mort en Russie, c’est Jack Sparrow qui commande le Black Pearl à présent. »
Cette nouvelle finit d’énerver Hector qui logea une balle entre les deux yeux de l’impertinent.
Son geste déclencha une bagarre générale et Barbossa en profita pour se tourner vers l’aubergiste.
« Dis-moi où je peux trouver Sparrow.
- Je, je ,je ne sais pas, bredouilla l’homme.
- Qui sait ?
- Une, une des catins peut être… »
Barbossa grimaça. Décidément Jack ne changeait pas. Il se dirigea vers la porte puis se ravisa.
« Une dernière chose, sais-tu où je pourrais trouver un chapeau ? »
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Il en essaya une bonne dizaine avant d’en trouver un qui soit satisfaisant. Bien sûr il n’avait pas la prestance de celui qu’Elizabeth lui avait lâchement dérobé mais ce dernier ferait bien l’affaire en attendant.
Muni de son chapeau neuf, qui n’avait même pas de plume, une honte ! Barbossa se dirigea droit vers deux catins. Il avait tout de suite reconnu les deux inséparables : Giselle la blonde et Scarlett la rousse. Ou l’inverse. Bref, après tout cela lui importait guère.
« Où est Sparrow ? » Demanda-t-il à la plus blonde des deux.
Cette dernière le toisa puis sourit en se tournant vers son amie.
« Jack Sparrow ?
- Oui Jack Sparrow ! Pourquoi ? Il n’y en a pas un aut… »Commença às’inquiéter Barbossa.
La main de la catin s’écrasa sur sa joue avant qu’il ait fini sa phrase.
« Donne-lui ça de ma part.
- Et celle-ci de la mienne. » Ajouta la rouquine en souffletant son autre joue.
Suffoqué d’indignation, Barbossa regarda les deux femmes s’éloigner bras dessus, bras dessous. S’il avait encore eu son chapeau, jamais elles n’auraient osé faire une chose pareille !!
« Une pomme ? » Proposa une voix dans son dos.
Barbossa se retourna avec vivacité.
« Comment dire n…Calypso ??? »
La nymphe lui fit un sourire prétentieux.
« Ça fait longtemps Hector.
- Pas encore assez. » Rétorqua le pirate en mordant de bon cœur dans la pomme.
Calypso le regarda faire avec une expression étrange.
« Tu n’as jamais su résister àune pomme Hector… »
Cette fois le pirate s’interrompit et la toisa avec méfiance.
« Qu’est-ce que tu veux ?
- Qui te dit que je veux quelque chose ? »
Barbossa lui adressa un regard éloquent et Calypso prit l’air évasif.
« Je suis venu te proposer un marché Hector. »
Cette fois le pirate reposa la pomme.
« Quel genre ?
- L’immortalité que tu convoites tant contre La Croix de Ponce Pilate. »
Barbossa la regarda d’un air rusé.
« Je croyais qu’Elizabeth se chargeait de te la procurer.
- Peut être …Elle le souhaite, mais en est-elle capable ? Susurra Calypso en glissant ses doigts le long du torse du pirate.
- Sûrement pas. Se rengorgea Barbossa.
- Voilàpourquoi j’ai besoin des services d’un vrai pirate.Va sur l’île de la Muerta et … »
Calypso s’interrompit tandis que Barbossa reculait comme si elle venait de le piquer.
« La Muerta. Répéta-t-il. Tu crois vraiment que je vais retourner sur cette île maudite après tout ce qu’elle m’a coûté !
- Si tu veux l’immortalité tu le feras. » Répondit Calypso d’un ton câlin.
Barbossa tiqua.
« Elle a coulé.
- Tu as assez de ressources pour trouver un moyen de contourner ça.
- Je n’ai plus de navire.
- Le plaisant Jack sera bientôt là…. »
Le visage de Barbossa se durcit àcette mention et Calypso en profita pour approcher de nouveau.
« Trouve La Croix Hector. »
Barbossa la toisa mais elle s’évanouit soudain. Surpris le pirate regarda fixement l’endroit où elle se tenait avant de baisser les yeux. La pomme était toujours là. Barbossa hésita quelques instants puis ramassa le fruit.
« Après tout pourquoi pas. Du moment que je ne touche pas à l’or maudit… » Murmura-t-il.
Puis il croqua joyeusement dans sa pomme et s’éloigna en direction du port. Si Calypso disait vrai, le Pearl serait bientôt de nouveau à lui.
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