Une fois Davy Jones parti en compagnie de Sparrow, Norrington se retrouva seul dans le Purgatoire de Jones. Dès cet instant la forêt autour de lui commença à se transformer. James cligna des yeux, ébahi par les changements qui se produisaient autour de lui. En effet, sous l'action du nouvel habitant du lieu, le purgatoire se modifiait pour devenir son pire cauchemar.
Petit à petit, la forêt dense et sombre disparut pour laisser place à une taverne où le rhum coulait à flots. James eut un sourire cynique. Cela faisait quelques mois qu'il n'avait plus touché à une goutte d'alcool, tant il se dégoutait après en avoir ingurgité. Après avoir annoncé la nouvelle de la mort d'Elizabeth au gouverneur, il s'était juré de ne plus jamais boire une goutte. Et bien on dirait que ça allait être plus difficile que prévu. Cet endroit ressemblait de plus en plus à Tortuga, mis à part le fait qu'il était seul au milieu de centaines de tonneaux de rhum.
James prit une profonde inspiration, il en faudrait plus que cela pour le faire craquer, il tiendrait même s'il devait passer l'éternité dans ce lieu maudit. Il s'assit stoïquement et ferma les yeux pour ne plus voir le doux liquide ambré s'écouler. Hélas, l'odeur persistante et entêtante lui chatouillait les narines. Norrington serra tant les poings que ses jointures devinrent blanches. Pour éviter d'être tenté il essaya de penser à autre chose.
Il se revit, jeune et beau capitaine, arrivant tout droit de son Angleterre natale, la tête remplie de rêves et d'idéaux. Mais que restait-il de cela maintenant ? Il avait été un homme bon, du moins le croyait il, un homme respectable qui plaçait l'intérêt d'autrui avant le sien propre et il avait été un homme heureux jusqu'à ce que sa route croise celle de Sparrow.
Il grimaça à cette pensée, le jour de leur rencontre devait être celui de son triomphe, il venait d'être nommé Commodore et avait demandé la main de la femme qu'il aimait passionnément. Puis Sparrow était arrivé et à partir de là tout était allé de travers, Elizabeth enlevée mais miraculeusement saine et sauve fut finalement perdue pour lui. Par amour pour elle, il avait laissé s'échapper ce maudit pirate et avait tout perdu en le pourchassant. Il avait ensuite atterri à Tortuga et là il s'était mis à boire plus que de raison et perdit ainsi toute dignité et toute estime. Puis, alors qu'il était au bord du gouffre et dans une porcherie, Elizabeth était arrivée. La pitié qu'il avait lue dans son regard l’avait blessé au-delà des mots et il avait tenté de se reprendre en main.
Une fois sur le Pearl, il avait observé Elizabeth et elle lui avait fait sans le savoir énormément de mal. La voir chaque jour plus proche de cet homme qu'il haïssait le faisait encore plus souffrir que lorsqu'elle l'avait abandonné pour William Turner. Et lorsqu'ils s'étaient retrouvés tous sur l'ile des Quatre Vents et qu'il avait réalisé que le cœur de Jones était sa seule chance de rédemption il n'avait pas hésité. Plus tard, lorsqu'il avait vu le Kraken couler le Black Pearl, il avait calmé sa conscience en se répétant que les autres avaient choisi leur destin et qu'il n'était pas responsable.
De retour à Port Royal, il avait récupéré sa vie d'antan et ses privilèges. Cela l'avait rendu heureux jusqu'à ce que sa rencontre avec le père d'Elizabeth le mette brutalement face à ses responsabilités. A partir de ce moment, il s'était détesté pour ce qu'il avait fait et son malaise n'avait été qu'en grandissant, à tel point qu'il aurait replongé dans la boisson sans la promesse qu'il s'était faite. Pour retrouver sa dignité il avait du abandonner tout ce pourquoi il avait sacrifié son honneur et à présent il se trouvait ici, dans le Purgatoire de Jones.
Norrington secoua la tête avec incrédulité. Il était là pour permettre à l'homme qu'il haïssait le plus au monde de retrouver la liberté. S'il n'avait pas été aussi désespéré il aurait trouvé la situation risible mais il ne le pouvait pas. Non, pas avec ses effluves d'alcool qui lui chatouillaient les narines à chaque seconde, le tentaient, le pressaient d'abandonner une fois pour toute son amour propre en se noyant dans le rhum.
James se leva brutalement et chercha quelque chose d'autre, quelque chose qui lui occuperait l'esprit, mais il n'y avait rien hormis ces rivières de rhum qui s'écoulaient autour de lui. Il se rassit et ferma les yeux pour laisser son esprit vagabonder. Les images qui se présentèrent alors à lui furent celles qu'il avait vues en se rendant dans ce lieu maudit, accroché à Jones.
Il se remémora chacun de ces instants de souffrance comme si c'était lui qui les avaient vécus. Il vit d'abord une femme inconnue qui partait, un enfant dans ses bras, et sentit le désespoir étreindre son cœur. Il ne parvenait plus à stopper ces visions cauchemardesques et il commença à pleurer, recroquevillé au sol comme un enfant, hurlant pour que ça s'arrête enfin.
Mais personne n'entendit ses cris et les images ne lui laissaient aucun répit. Partout dans sa tête, autour de lui ce n'était que râles d'agonie, de souffrance, gémissement et peine. James sentit son esprit se rebeller contre ce qui l'assaillait sans parvenir à reprendre le contrôle. Il avait l'impression que son être, son âme, partait en morceaux sans espoir de retour. Il se sentit devenir fou mais essaya de rattraper les morceaux de sa raison qui s'enfuyait. Il n'avait même plus conscience du lieu qui l’entourait, plus conscience de pleurer tant il se noyait dans les souvenirs de douleur. James hurla, il oublia toute dignité et se mit à genoux, suppliant Jones de faire cesser cette torture.
Il ne savait pas depuis quand ce cauchemar avait commencé lorsqu'une image le ramena un peu à lui-même. Il vit le visage d'Elizabeth tourné avec douceur vers lui et s'y accrocha avec désespoir, l'utilisant pour raccommoder les lambeaux de son âme. C'est alors qu'il se rendit compte que celui vers qui Elizabeth se tournait avec tant de tendresse et d'amour, ce n'était pas lui mais Sparrow. A cet instant James put sentir sa raison basculer. Il ouvrit ses yeux brouillés par les larmes qu'il n'avait pas cessé de verser et se pencha sur le torrent de rhum le plus proche. Il s'abreuva alors. Il avait perdu toute illusion sur son avenir et n'espérait plus qu'une seule chose : mourir avant que la folie ne se soit totalement emparée de lui.
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Alors que l'ex commodore succombait à l'alcool, sur le Hollandais Volant Jones ne put retenir un hoquet de surprise. Décidément il avait surestimé cet homme. Il avait renoncé presque immédiatement après être arrivé dans son Purgatoire alors que des semaines de réclusion avaient à peine entamé le mental de Sparrow. Jones soupira et grinça des tentacules, très bien, dans ce cas, le nouvel occupant du Purgatoire lui offrirait plus vite le contrôle de son âme, cela n'en serait que mieux finalement. En attendant, indifférent à la détresse de James, Jones eut un sourire en sentant celui-ci glisser inexorablement dans la folie et dans l'ivresse.
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