Le lendemain de la terrible journée où elle avait appris que sa chère Nanny avait elle aussi rejoint les anges, Elizabeth Swann décida de mettre son plan à exécution et d’empêcher les anges de venir la dépouiller à nouveau. Le soleil était à peine levé lorsque la petite fille se glissa hors de son lit, les yeux gonflés par les larmes qui l’avaient tenue éveillée une grande partie de la nuit. Ramassant sa chère poupée, Elizabeth se hissa sur la pointe des pieds pour ouvrir la porte de sa chambre avant de pousser un gémissement frustré en la découvrant verrouillée de l’extérieur.
La petite fille sentit de nouvelles larmes lui picoter les yeux et elle les chassa inutilement de la main avant de se tourner vers ce qui l’entourait. Les fenêtres, trop hautes pour elle, étaient également fermées et sa bouche se tordit en une grimace rageuse en le découvrant. Elizabeth tapa du pied avec impatience et commença à pousser sa petite table vers les fenêtres, bien décidée à sortir.
Elle lutta de longues minutes mi rageant mi pleurant devant l’inutilité de ses efforts et songea qu’elle aurait bien du mal à trouver le chef des anges si elle ne parvenait même pas à sortir de sa propre chambre. Perdue dans ses pensées et concentrée dans l’effort, Elizabeth n’entendit pas le cliquetis de la porte et elle poussa un hurlement de frayeur en se voyant soulevée du sol par la poigne sèche et sans douceur de Mrs Brode.
« Miss Elizabeth !!! Combien de fois faudra-t-il vous répéter de vous conduire en Lady et non en fille des rues !! »
Elizabeth renifla pitoyablement et leva ses grands yeux sombres vers l’intendante
« Je faisais rien de mal !
- Je ne faisais rien de mal Madame !!! Corrigea Mrs Brode. Et vous n’êtes pas à même de décider de ce qui est bien ou mal !
- Mais … je cherchais le chef des anges. Expliqua Elizabeth. Pour qu’il rende Nanny. »
Mrs Brode lui jeta un regard dégoûté et répondit d’une voix exaspérée
« Mais qui diable vous a encore mis une telle idée en tête ! Le chef des anges n’écoutera sûrement pas une petite fille aussi sale, pleurnicharde et méchante que vous. Vous devriez vous réjouir pour votre Nanny qui est avec les anges plutôt que de ne penser qu’à vous. Maintenant cessez vos bêtises et venez par là que je vous rende présentable. »
La lèvre tremblante, Elizabeth se laissa emporter sans rien dire, le cœur lourd devant les paroles de l’intendante. Sans douceur, cette dernière se mit en devoir de frotter son visage et le savon piqua les yeux d’Elizabeth dont les pleurs redoublèrent.
« Cessez donc de pleurnicher Miss Elizabeth ! Vous allez mettre une jolie robe et tâcher de ne pas me faire honte lorsque votre père rentrera tout à l’heure. »
A ces mots, Elizabeth sécha rapidement ses larmes et lui lança un regard plein d’espoir.
« Mon papa rentre aujourd’hui ?
- On dit : Est-ce vrai que Père rentre aujourd’hui ? Et oui ça l’est. Alors cessez de jouer les petites filles capricieuses et faites en sorte de ne pas donner encore du souci à votre pauvre père. »
Elizabeth baissa les yeux, rougissante de honte, et se laissa emporter par Mrs Brode qui s’empressa de l’habiller d’une robe d’un vert passé dont la couleur donnait invariablement envie de vomir à la petite.
Armée d’une brosse, Mrs Brode se mit en devoir de démêler les cheveux de sa jeune protégée, arrachant des petits cris de douleur à Elizabeth qui n’en regretta que plus la tendresse de sa Nanny disparue.
« On a pas idée de se laisser aller ainsi. Grommela Mrs Brode. Vous devriez au moins tâcher d’être jolie puisque vous n’êtes pas aimable. Et regardez-moi ces taches de rousseur ! » S’agaça-t-elle en désignant les petites taches mouchetées qu’avait Elizabeth sur les pommettes.
Les mains serrées l’une sur l’autre, Elizabeth ne soufflait mot, son cœur battait plus vite à mesure que l’autre tirait sans pitié sur ses cheveux et l’affublait de nœuds d’un vert aussi laid que celui de sa robe.
Finalement, Mrs Brode la regarda avec une moue désapprobatrice avant de soupirer.
« Je suppose qu’on ne pourra faire mieux avec vous. Allons Miss Elizabeth soyez gentille et allez étudier en attendant Mr votre Père. »
Elizabeth ouvrit la bouche pour demander à quoi pouvaient bien servir les leçons de maintien, broderie et de lecture de Mlle Woods avant de se raviser, sentant que la réponse de Mrs Brode ne serait pas celle qu’elle attendait.
Réprimant un soupir, la petite fille se leva avec souplesse et traîna des pieds jusqu’à la porte, elle souhaita brièvement n’être qu’une de ces petites filles des rues que Mrs Brode méprisait tant mais qui avait au moins l’avantage de pouvoir faire ce qu’elles voulaient.
« Miss Elizabeth tenez-vous droite !!! » Cria Mrs Brode.
Elizabeth se figea et redressa immédiatement les épaules avant de pénétrer dans la salle d’étude.
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Assise devant un bon feu, un livre entre les mains, Mlle Woods pinça ses lèvres en signe de désapprobation et jeta un coup d’œil éloquent vers la pendule.
« Vous êtes en retard Miss Elizabeth. Une dame n’est pas en retard. Enfin je suppose que nous pouvons attribuer cela au départ de votre nurse. »Dit-elle d’un ton pincé avec une pointe de mépris dans le mot nurse.
Elizabeth se troubla à nouveau en pensant à sa Nanny et de grosses larmes commencèrent à rouler sur ses joues.
« Allons allons !! Prenez votre livre et commençons votre leçon de lecture ! » S’impatienta Mlle Woods.
Elizabeth renifla bruyamment et se pencha sur l’ouvrage, ses yeux brouillés par les larmes ne lui facilitait pas la tâche.
« Non ! S’exclama Mlle Woods. Appliquez-vous ou vous ne saurez jamais rien et vous resterez une petite ignorante.
- Je veux ma Nanny … » Pleurnicha brusquement Elizabeth pour qui la semonce de la préceptrice était de trop.
Mlle Woods poussa un soupir et reprit d’une voix plus douce. « Allons Miss Elizabeth vous aurez bientôt une nouvelle Nanny.
- Mais ce n’est pas ma NANNY !!! » Cria Elizabeth en pleurs, alors que pour la seconde fois on lui parlait de remplacer sa Nanny comme on avait fait remplacer la jolie poupée qu’elle avait cassée quelques jours plus tôt.
Mlle Woods posa un regard désapprobateur sur elle.
« Est-ce que c’est-ce que je vous ai appris Miss Elizabeth ? Crier, tempêter comme une domestique ? «
Les yeux ronds, Elizabeth la fixa, elle ne savait pas au juste ce que le mot tempêter voulait dire mais ce ne devait pas être flatteur. Peut-être que ça avait un lien avec ce qui renversait les bateaux. Mais quel rapport avec elle ?
« Et lorsque vous serez une jeune fille puis une femme mariée, votre mari attendra de vous que vous soyez docile. » Continuait Mlle Woods sans se rendre compte que sa jeune élève ne l’écoutait plus.
Un bruit retentit dans le hall et Elizabeth se leva avec promptitude, elle se rua sur la porte avant que la préceptrice n’ait eu le temps de l’arrêter.
Sans se soucier des leçons de maintien et de bonnes manières qu’on lui inculquait, Elizabeth se précipita dans l’escalier, les yeux brillants et la main sur la rampe, elle s’efforça de descendre aussi vite que ses petites jambes le lui permettaient.
« Papa. » Pépia-t-elle pendant que dans le hall son père donnait son manteau au majordome.
Weatherby Swann sourit en voyant la petite fille finalement parvenir au pied de l’escalier et courir vers lui, ses petits bras l’étreignant farouchement.
« Et bien .. Et bien….. La calma-t-il en la prenant dans ses bras.
- Bonjour Monsieur. Toutes mes excuses Monsieur, Miss Elizabeth a échappé à la vigilance de Mlle Woods. Encore …Déclara Mrs Brode d’un ton pincé.
- Ce n’est rien. Répondit négligemment Weatherby sans la regarder. Alors comment va ma petite fille aujourd’hui ? »
Mrs Brode lui lança un regard désapprobateur tandis qu’il avançait vers le salon, portant toujours Elizabeth dans ses bras.
« Ce cher ange nous donne bien du souci. » Répondit Mrs Brode.
A la mention du mot ange, Elizabeth sentit les larmes lui piquer de nouveau les yeux.
« Papa… Les anges ont pris ma Nanny. Pleura-t-elle en enfouissant la tête dans le cou de son père.
- C’est arrivé hier, un livreur maladroit. Sans doute avait-il bu. Déclara froidement Mrs Brode.
- Seigneur ! Et toi tu n’as rien ? S’inquiéta Weatherby.
- Miss Elizabeth n’était pas avec elle. Précisa très vite l’intendante.
- Dieu soit loué. Murmura Weatherby en caressant tendrement les cheveux d’Elizabeth.
- Depuis Miss Elizabeth est intenable Monsieur. Elle fait caprice sur caprice. Ce matin je l’ai trouvée à quatre pattes sur sa table en train d’essayer d’ouvrir la fenêtre de sa chambre. »
Weatherby sourit fugacement avant de se pencher sur Elizabeth et affecta un air sévère.
« Est-ce que c’est vrai Elizabeth ? »
La petite fille baissa la tête d’un air contrit.
« Je voulais juste sortir pour essayer de trouver le chef des anges …
- Le chef des anges ? » Demanda Weatherby avec curiosité.
Mrs Brode haussa les épaules en signe d’ignorance.
« Je voulais lui demander de rendre Nanny. Et de plus me prendre personne. Déclara Elizabeth d’une voix triste.
- Oh, je vois … Répondit Weatherby qui la serra un peu plus contre lui.
- Je m’occupe de lui trouver une nouvelle nurse, j’ai déjà des candidates. Annonça Mrs Brode.
- Oui oui … Marmonna Weatherby d’un ton las avant de reporter son attention sur sa fille.
- Gracie elle a dit que Nanny elle était avec maman. » Continua Elizabeth en guettant son père.
A la mention de sa chère Anne, Weatherby se raidit légèrement.
« Sûrement ma chérie… Dit-il en l’embrassant.
- Papa ? Pourquoi les anges ont pris ma maman ? Pourquoi ils ont pris Nanny aussi ?
- Oh … Et bien c’est qu’ils ont du juger que leur mission ici était terminée Elizabeth. Ou qu’elles étaient trop gentilles pour rester près de nous. Alors ils les ont appelées ailleurs. Répondit Weatherby d’un ton douloureux.
- Miss Elizabeth ! Cessez donc d’embêter votre père avec vos questions, il doit être fatigué de son voyage. » Intervint Mrs Brode tandis qu’Elizabeth la regardait et songeait que celle-ci n’aurait sûrement pas à craindre une visite des anges.
Pour toute réponse, Elizabeth se serra un peu plus contre son père qui la regarda d’un air triste.
« Papa … Comment elle était maman ? » Demanda brusquement Elizabeth en reniflant.
Le regard chargé de peine, Weatherby détourna les yeux et s’éclaircit la voix avant de répondre.
« Très gentille. Se força-t-il à dire. A présent Mrs Brode a raison, je suis fatigué et tu dois retourner à tes leçons.
- Mais papa … Commença Elizabeth.
- Une petite fille ne discute pas Miss Elizabeth ! Intervint Mrs Brode qui la prit fermement par le bras.
- Va ma chérie. Murmura tendrement Weatherby. Et reviens me voir lorsque tu auras terminé. J’ai une surprise pour toi.
- Je ne suis pas certaine qu’elle le mérite. Commença Mrs Brode.
- Mrs Brode faites-moi donc la grâce de me laisser décider de la manière dont je dois traiter ma fille. » Lui assena son maître.
L’intendante se raidit tandis qu’un léger sourire renaissait sur les lèvres d’Elizabeth.
« Bien monsieur. Veuillez me pardonner, je n’étais pas à ma place. » S’inclina-t-elle en entraînant Elizabeth.
La petite fille se laissa entraîner sans protester et retrouva avec déplaisir la salle d’étude.
« Je vous rends votre élève, Mlle Woods, j’espère que vous veillerez à être plus vigilante à l’avenir. Déclara sèchement Mrs Brode.
- Oui Madame. Répondit Mlle Woods avant de se retourner vers sa jeune élève.
- Miss Elizabeth combien de fois faudra-t-il vous dire qu’une dame ne se comporte pas comme vous le faites ? Vous nous devez obéissance comme plus tard vous le devrez à votre époux. »
Elizabeth baissa les yeux et serra fermement ses petits poings. Obéissance. Elle détestait ce mot qu’on lui répétait à longueur de journée.
« Je crois que seuls les enfants obéissent.
- Je croyais. Les enfants obéissent aux adultes qui sont plus responsables qu’eux. Les femmes obéissent à leurs pères et mari. A présent reprenez votre leçon Miss Elizabeth. »
La petite fille ne répondit pas, le cœur serré à l’idée que quoi qu’il advienne. Son destin était apparemment d’obéir.
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