Chapitre 2 : Séduction


La règle d’or de toute bonne courtisane était d’être bien renseignée sur sa proie avant d’entamer son entreprise de séduction. En tout cas, c’était la règle que Bianca appliquait depuis ses débuts, après avoir connu une fâcheuse déconvenue : elle avait gaspillé de précieux mois à tenter de séduire un homme dont les goûts se tournaient vers son propre sexe au début de sa « carrière » et elle s’était juré ensuite de ne pas commettre une seconde fois la même erreur.

 

Seulement, le Hollandais Volant n’était pas Venise ou l’Italie… Les sources de renseignements y étaient minces. Elle savait déjà que le jeune homme aimait les femmes en dépit de son allure vaguement efféminée. Ou plutôt qu’il aimait une femme. La passion qui avait enflammé Will Turner en lui parlant de ses regrets était assez éloquente. Bianca en était certaine : il aimait passionnément... Mais elle savait aussi autre chose : même les amoureux les plus épris finissent par oublier lorsqu’ils sont loin de l’autre… Elle en avait détourné plus d’un. Celui-ci ne ferait pas exception. Sûre de son succès futur, Bianca entreprit donc de séduire Will sans une pensée pour la femme qu’elle déposséderait. Seul comptait son but : convaincre William Turner de la ramener dans son monde.

 

()()

 

Will était loin de partager l’optimisme de Bianca… Depuis la veille au soir, il peinait à trouver le sommeil et se torturait l’esprit à la recherche d’un moyen de la faire s’engager sur le Hollandais Volant. Accoudé au bastingage, il y pensait encore lorsque Bill vint le rejoindre

«  Tu as l’air sombre… »

Will ne répondit pas et Bill soupira

« Dis-moi ce qui te tourmente…Peut-être que je pourrais t’aider … »

 

Will sourit tristement

«  Je ne sais pas comment m’y prendre pour la convaincre de rester… J’ai pensé tout lui dire, lui raconter mon histoire et celle d’Elizabeth…

- Mauvaise idée. Ce genre de femme se fiche des autres vies. » Le coupa Bill

Will coula un regard vers lui

« Ce genre de femme ? Que veux-tu dire ? »

Bill se crispa. Pendant quelques secondes, il se revit, jeune matelot follement amoureux de Laura…. Une courtisane lui avait expliqué Jack… Puis, comme il ne comprenait pas : une putain de luxe. Bill fixa son fils. Will était un cœur fidèle… Il n’avait rien à craindre.

« Juste qu’elle est trop égoïste pour compatir à ton malheur.. »

 

Will hocha la tête et jeta un coup d’œil à la jeune femme solitaire dont le vent faisait bruisser les cheveux.

«  Je n’ai pas d’autres idées… Je ne peux pas la forcer… Calypso a bien dit que cela devait venir d’elle … »

Bill hésita. Les courtisanes étaient des séductrices nées… Peut-être que si celle-ci pensait que Will était amoureux d’elle… Elle se croirait victorieuse et accepterait le marché …

« Ça pourrait marcher » Murmura-t-il

 

Will se retourna vivement vers lui

«  Tu as une idée ? »

Bill hocha la tête

« J’en ai une …Mais je ne suis pas sûre qu’elle te plaise

- Au point où j’en suis…

- Séduis-la. »

Will le regarda avec incrédulité

« Quoi ???

- J’ai dit séduis la …Les femmes font toujours confiance à ceux qu’elles pensent être amoureux d’elle »

 

Will secoua la tête

«  On dirait un des plans de Jack…

- Jack a souvent de bonnes idées mon garçon » souligna Bill.

Will en convint de mauvaise grâce et soupira

« Mais je ne suis pas Jack…Je ne sais pas comment... Tu vois … »

Le cœur de Bill se serra. Il aurait dû être là. Il aurait dû guider son fils pendant ses premiers émois, lui apprendre ce qu’il savait des femmes. Au lieu de ça, il avait préféré l’océan….

« Papa ? »

 

Bill sourit et posa la main sur l’épaule de Will. Il ne lui dirait pas que Bianca n’était pas une comtesse mais une courtisane… Ni qu’elle était certainement en train de fomenter le même plan. Pour une fois il allait se comporter comme un père, ou du moins l’idée qu’il s’en faisait

«  Sois toi-même ça suffira… »

Un grand soupir lui répondit et Bill ajouta

« Invite-la à dîner dans ta cabine…Puise dans les réserves de vin de Jones. Si tu lui plais, elle viendra vers toi… »

Will jeta un coup d’œil en direction de Bianca.

«  Dans ce cas commence à chercher autre chose… » murmura-t-il en se dirigeant vers la jeune femme.

 

Bill le regarda avancer et le doute l’étreignit un bref instant. Et s’il se trompait ? Si la courtisane avait le dessus ? Il songea au désespoir de Will à l’idée d’être séparé d’Elizabeth et s’apaisa. Le véritable amour ne mourrait jamais. Surtout pas pour les yeux pâles d’une catin de luxe.

 

()()

 

Bianca sourit en reconnaissant le pas de Will. Elle entendit son souffle court et perçut son embarras avant qu’il parle. Elle avait l’habitude de faire cet effet aux hommes. Et celui-ci ne semblait même pas en être complètement un.

«  Contessa Siglida ?

- Capitaine Turner ? » Lui répondit-elle en esquissant un sourire.

 

Will baissa les yeux

«  Je crois que je me suis montré… Dur avec vous. Je sais qu’il est difficile d’accepter de… enfin de ...

- D’être morte ? Lui demanda Bianca d’un ton dramatique

- Oui…Je,je voudrais vous inviter à.. Partager mon repas pour me faire pardonner, mais si vous ne ... Enfin... » Balbutia Will

Baisser les yeux avait été une mauvaise idée. Will lutta pour détourner son regard de la poitrine audacieusement découverte par la robe de satin gris perle de la Comtesse. Will releva les yeux et croisa ceux de Bianca

«  J’accepte votre invitation Capitaine Turner…Mais les morts mangent ils donc ? »

 

Will évita de nouveau son regard

«  Tant qu’ils voyagent entre les deux mondes oui…

- Voyagent ?

- Sur mon navire. Une fois de l’autre côté… Je ne sais pas. »

Le regard de Bianca étincela. Le vieux marin qui l’avait renseignée ne s’était pas trompé…Le navire voyageait entre les deux mondes. A elle de convaincre Turner de la ramener dans celui qu’elle n’aurait jamais dûquitter.

«  J’accepte Capitaine »

Le visage de Will accusa sa surprise puis sa joie.

« Je... Àce soir Contessa

- A ce soir … »répondit Bianca.

 

La jeune femme lui suivit d’un œil prédateur. Turner n’avait pas confiance en lui… Et une sacrée méconnaissance des femmes. Deux jours lui suffiraient, peut être trois… Bianca adressa un remerciement muet à Dieu pour avoir mis sur sa route un homme si facile à charmer et se retourna vers l’horizon, le sourire aux lèvres. Le tout était de ne pas être trop empressée… Ce genre de gamin romantique détestait ça.

 

()()

 

Will retint son souffle lorsque Bianca entra dans sa cabine. La jeune femme lui fit un sourire sûr de lui et Will se pencha vers le vin.

«  Un verre ?

- Je croyais que vous m’aviez fait venir pour autre chose.. » Souffla Bianca.

Will s’immobilisa net et elle se reprit

« Manger et non boire…Mais un verre de vin serait parfait. Si vous m’accompagnez…

- Bien sûr » répondit mollement Will en maudissant sa propre stupidité.

 

Bianca le suivit du regard. Il avait réagi comme elle s’y attendait au piège qu’elle lui avait tendu. Son trouble parlait pour lui. Il la désirait même s’il ne le savait pas encore. Et si ça n’était pas le cas, elle ferait en sorte qu’il la désire plus que tout au monde. Elle referma ses doigts fuselés sur le verre qu’il lui tendait.

«  Merci… »

 

Un silence s’installa. Will chercha désespérément quoi lui dire: que dire à une morte ? Bianca prit la parole tout en s’asseyant

«  Venise me manque … »

Will ne put retenir un soupir soulagé

« Venise ?

- C’est en Italie. Expliqua Bianca. C’est la plus belle ville du monde... En Europe, on l’appelle la ville des amoureux »

Le visage de Will se crispa à la pensée d’Elizabeth et il se força à sourire

« Pourquoi ? »

 

Bianca, les yeux à demi clos mais à l’affût de ses réactions, répondit

«  Parce que notre cité est faite de terre et d’eau… Il n’y a pas de route à Venise. Pas de chemins. Il y a les canaux, les Palazzo … les bals… Le Pont des Soupirs … On dit que l’amoureux qui jette une pièce du haut de ce pont voit son souhait exaucé. »

Will sourit tristement et Bianca continua, rêveuse

« Là-bas il y a des peintres, des musiciens, des chanteurs d’opéra. Les gondoliers eux-mêmes sont chanteurs…Ils transportent les amoureux en leur chantant des ballades… Nulle autre ville ne possède cela. Pas même Florence »

 

Surpris par la chaleur de sa voix, Will sourit

«  Vous aimez votre ville…

- A la folie comme tout vénitien… A Venise nous aimons avec passion ou nous n’aimons pas du tout. »

Le jeune capitaine ne put retenir un nouveau sourire. Pour la première fois depuis leur rencontre, il la trouvait touchante. Sans doute à cause de son amour pour son pays qui lui rappelait Elizabeth et sa fougue dans ses combats

« Votre ville plairait àElizabeth » murmura-t-il.

 

Bianca tourna les yeux vers lui. Elizabeth était sans doute la femme dont il parlait avec tant de passion. Mieux valait juger de sa rivale.

«  Votre femme ?

- Oui… » Répondit Will d’un ton douloureux.

Bianca tiqua en percevant sa souffrance et reprit

« Elle doit être passionnée ... Sinon vous ne la penseriez pas capable d’aimer Venise… »

Will sourit tristement et Bianca retint son souffle

« Elle l’est …Elizabeth c’est …Je l’admire. Elle est forte. Plus que moi. Plus qu’aucune autre… »

Bianca ne répondit pas et Will poursuivit d’une voix hachée par l’émotion

« Elle me manque tellement. Ce n’est pas seulement ma femme. C’est mon amie, mon âme sœur. La gardienne de mon coeur »

 

La légendaire assurance de Bianca vacilla un peu en l’entendant. L’entreprise serait peut-être plus difficile que prévu... Elle répondit

«  Je comprends…

- Non…Je ne crois pas. Elle …Je donnerais mon âme pour la serrer contre moi rien qu’une minute... »

Vraiment plus difficile, songea Bianca

« Depuis combien de temps ne l’avez-vous pas vue ?

- Deux ans, un mois et vingt-quatre jours… » Murmura Will

 

Le cœur de Bianca se serra. Une part d’elle évalua froidement la situation : détourner William de sa femme serait difficile mais pas impossible, deux ans c‘était long pour un homme. L’autre part, quant à elle, envia fugacement cette Elizabeth. Bianca avait été chérie, couverte de cadeaux, protégée… Mais jamais aucun homme ne l’avait aimée comme celui-ci aimait sa femme. La courtisane reprit le dessus et elle se promit de le faire succomber.

«  Deux ans c’est bien long… Comment pouvez-vous être certain qu’elle pense encore à vous ? » Demanda-t-elle avec une fausse naïveté.

 

Le visage de Will se ferma

«  J’ai confiance en elle »

Bianca grimaça. Elle avait commis une erreur. De son côté Will se força à lui sourire

« Pardonnez-moi…Encore du vin ?

- Oui s’il vous plait…

- Parlez-moi de Venise… » Demanda Will en la servant.

 

Bianca obéit et parla des heures durant. Elle décrivit les palais et les toiles. Les canaux et les statues. Son regard tomba sur l’orgue et elle se tourna vers Will

«  Vous en jouez ?

- Non…C’était à... À l’ancien capitaine » répondit Will, un peu gêné.

Bianca se leva et laissa ses doigts errer sur les touches

« Je peux ? »

Will lui désigna l’instrument et Bianca posa ses mains sur les touches jaunies. L’instant d’après, elle entama un air triste.

 

()()

 

Sur le pont, Bill Turner frissonna lorsque les premières notes de l’orgue résonnèrent. Son regard croisa celui de ceux qui, comme lui, avaient préférés demeurer à bord après la mort de Jones et il lut dans leurs yeux la même angoisse.

 

Bianca jouait l’air favori de Davy Jones.

 

()()

 

Will sursauta et se troubla. L’air lui rappelait quelque chose mais il n’arrivait pas à s’en souvenir. Il attendit que Bianca plaque les dernières notes

«  Quel est cet air ? Je le connais mais… »

Bianca sourit

« Je ne sais pas…C’est …mon prince possède une boite à musique qui joue sans cesse cette air, expliqua-t-elle. J’ai eu envie de l’entendre à nouveau »

Will se troubla tandis que Bianca souriait intérieurement. Rappeler son amant au jeune capitaine était une bonne idée… Une manière de lui montrer qu’elle était aussi seule que lui…Will, lui, secoua tristement la tête, il venait de comprendre pourquoi Calypso tenait tant à punir Bianca : elle lui avait volé son amant.

 

Bianca attendit quelques minutes, puis devant le silence de Will, elle minauda

«  Nous aimions l’ouvrir et danser au son de cette mélodie… J’aime tellement danser... Soupira-t-elle tristement. Mais je suppose que les morts ne dansent pas... »

Will déglutit et observa son visage. Touché par sa mélancolie il lui tendit la main

« Je ne sais pas très bien danser et il n’y a pas de musique mais…. »

Bianca posa sa main froide dans celle de Will

«  Il suffit de se laisser guider … »

 

La courtisane fredonna doucement et la main de Will enserra sa taille. Bianca le suivit des yeux entre ses cils et le guida sans avoir l’air, jusqu’à se retrouver contre son torse. Là elle s’arrêta de chanter et sourit

«  Vous dansez bien capitaine…

- Je ne sais pas ... C’est la première fois…Ou presque

- Il y a toujours une première fois »souffla Bianca.

Will la regarda et ses yeux se posèrent malgré lui sur sa bouche. Les lèvres de Bianca étaient belles, bien ourlées... Une bouche qui invitait au baiser…Consciente de son trouble, Bianca s’immobilisa et sourit

«  Je crois que nous ferions mieux de dîner.. »

 

Will cligna des yeux et s’écarta.

«  Oui pardonnez-moi… Je, je songeais à autre chose »

Bianca ne répondit pas. Elle savait àquoi il pensait. Elle avait tout fait pour cela. Et finalement les deux ans d’abstinence de Will lui conféraient un atout indéniable.

 

Le repas se passa lentement, Bianca poursuivit son récit sur Venise. Au bout d’une heure, son œil exercé vit sa proie se détendre et elle se leva dans un froufrou

«  Du vin ? » proposa-t-elle

Will tendit sa coupe sans y penser et elle la prit, frôlant ses doigts au passage avec une feinte négligence. Le regard de Will se posa sur sa gorge et elle se rassit. Elle le fixa dans les yeux tandis qu’elle buvait puis reposa la coupe

« Il se fait tard…Et le repas est terminé…Bonne nuit capitaine Turner »

 

Will se leva à la hâte

«  Contessa , je vous…

- Je serais ravie de dîner avec vous demain soir Capitaine Turner… Et appelez-moi donc Bianca. Je doute que mon titre ait beaucoup d’importance là où vous m’emmenez… »

Will déglutit de plus belle et Bianca s’inclina, lui offrant ainsi une vue imprenable sur sa poitrine. Sans attendre sa réaction elle sortit…

 

()()

 

Une fois seul, Will souffla longuement. Bianca Siglida était une des plus belles femmes qu’il ait jamais vue. Il baissa les yeux sur son fut et rougit. Son corps venait de se rappeler à lui.

«  Bon sang Will mon gars, mais qu’est-ce qui t’a pris de jouer cet air ? »

Sorti de la douce torpeur dans laquelle Bianca et le vin l’avaient plongé, Will sursauta

« Ce n’est pas moi …C’est Bianca… »

 

Bill fronça les sourcils. Les yeux de Will s’étaient faits fuyants à la mention de la courtisane

«  Ta soirée s’est bien passée ?

- Oui…je crois…Je l’ai invitée àdanser… »

Bill le fixa, brusquement étreint par le doute

« William c’était peut-être pas une si bonne idée…

- C’est la seule. Et je ne renoncerais pas sans essayer. »

 

Bill déglutit

«  Mais … Si ... Pour la faire tomber amoureuse... Will tu ... »

Le regard de Will se voila.

« S’il le faut je l’embrasserais pour la convaincre. Après tout je doute qu’Elizabeth m’en veuille pour ça. Elle est bien placée pour comprendre » répondit Will avec un rien d’amertume.

Bill la perçut mais ne releva pas

«  Fait attention à toi Will… Ne perd pas ton but de… »

 

Furieux, Will se retourna vers lui

«  Mon but c’est de revoir Elizabeth. Et j’y arriverais quelque en soit le prix. Maintenant laisse-moi s’il te plait. »

Bill s’inclina à regret

« Soit…Bonne nuit William »

 

Une fois seul, Will se laissa tomber sur son lit avec un soupir.

«  Elizabeth » murmura-t-il.

Il ferma les yeux et ses mains descendirent jusqu’à son sexe. Son désir réveillé par les charmes de Bianca, Will se souvint de sa nuit de noce. Du soleil dans les cheveux de sa femme, de son corps nu, de sa peau douce. Il se souvint des baisers échangés et sa main accéléra sur son sexe. Il s’imagina qu’il la tenait dans ses bras puis se représenta sa main au lieu de la sienne sur sa verge et poussa un lourd soupir. Alors qu’il se lâchait dans un râle il imagina un instant les prunelles bleues de Bianca…

 

()()

 

Allongée dans la cabine voisine de celle de Will, Bianca sourit en entendant son cri étouffé. Peu importait que pour ce soir, il ait surement pensé à sa femme… Elle en était certaine ce serait bientôt à elle que William Turner penserait. Elle ferait ce qu’il faut pour ça et plus encore pour qu’il lui rende sa vie.

 


Chapitre 1                                                                                                          Chapitre 3


Écrire commentaire

Commentaires: 0