A bord de La Fleur de la Mort
Assise sur le lit peu confortable de la cabine sommaire qu’elle occupait depuis qu’elle avait rejoint l’équipage du Capitaine Laura Smith, sa mère, Arabella fixait le mur sans le voir, l’esprit occupé à tenir le compte des jours depuis ses derniers ennuis de femmes.
« Quarante… Marmonna-t-elle finalement. Quarante. » Répéta-t-elle en baissant les yeux sur son ventre pour l’observer avec un mélange de défiance et de plaisir.
Perdue dans ses pensées et dans ce que son décompte impliquait, Arabella n’entendit pas la porte s’ouvrir et sursauta brutalement lorsqu’une voix s’éleva dans la pièce.
« Que fais-tu donc ma fille ? Cela fait au moins dix minutes que tu aurais dû prendre ton quart ! » S’impatienta Laura.
Arabella suivi du regard la silhouette nerveuse de sa mère tandis que cette dernière arpentait la pièce.
« Et bien bouge-toi ! » S’impatienta de nouveau Laura.
Arabella fixa sa mère et se crispa comme à chaque fois que Laura agissait envers elle comme le capitaine qu’elle était. Pour la jeune femme, le souvenir du choix que sa mère avait fait en l’abandonnant au profit d’une vie de pirate était encore douloureux. Durant la fraction de seconde pendant laquelle Arabella se remémora les années passées à pleurer sa mère soi-disant enlevée et tuée par des pirates, elle prit sa décision. Jamais elle n’imposerait une telle vie à son enfant. Jamais elle ne l’abandonnerait comme Laura l’avait fait pour elle.
Le Capitaine de La Fleur de la Mort finit par comprendre que quelque chose n’allait pas et elle s’adoucit avant de se pencher sur sa fille.
« Bella ? Tu es malade ??
- Ne m’appelle pas comme ça ! Ragea Arabella. Et ne fais pas comme si tu te souciais de moi.
- Mais je me soucie de toi. » Souligna Laura avec un soupir.
Arabella se retint à grand peine de dire une fois de plus ses quatre vérités à Laura et se leva souplement. Maintenant que sa décision était prise restait à savoir ce que Billy Turner allait en penser.
« Où vas-tu ? Lui demanda Laura, le sourcil levé
- Voir Billy. Je dois lui parler. Annonça Arabella sans s’embarrasser d’autres formes de politesse
- Tu as un poste à tenir. » Rappela Laura
La main sur le bouton de la porte de sa cabine, Arabella se retourna brutalement vers sa mère, son geste libérant ses longs cheveux auburn qu’elle maintenait d’ordinaire à l’aide d’un catogan.
« J’ai d’autres priorités que de naviguer sur ton bateau Mère. Mais c’est une chose que tu ne pourras sans doute jamais comprendre. » Assena durement Arabella avant de sortir, laissant Laura stupéfaite par son brusque éclat.
()()
Arabella salua d’un bref signe de tête Mr Reece, le second et sans nul doute amant de sa mère et se dirigea vers le gréement, poste qui avait échu à Bill ce jour-là. La jeune fille plissa les yeux et sourit en voyant son amoureux suspendu à quelques mètres du sol et fort occupé à vérifier les fixations d’une voile
« William ! » Appela-t-elle tandis qu’une brutale angoisse montait en elle.
Que ferait-elle si Billy n’était pas d’accord avec ses choix ? S’il lui préférait l’océan et la vie à bord de La Fleur de la Mort ?
Avant qu’elle ait eu le temps de réfléchir plus avant, Bill atterrit souplement à ses côtés et la regarda avec inquiétude
« Arabella ? Que se passe-t-il ? »
La jeune femme hésita. Billy et elle se connaissaient depuis quelques années à présent et cela faisait plusieurs mois que leur relation avait pris un tour plus romantique… Sans doute Bill était-il amoureux d’elle (en tout cas c’était ce qu’il prétendait) mais elle avait toujours en tête le souvenir du jour où ils avaient rendu visite à l’oncle et à la tante de Bill et où elle avait évoqué la possibilité d’une vie à terre, d’une vie de famille… Ce jour-là il lui avait dit qu’ils étaient des pirates et que par conséquent, ce genre d’existence n’était pas faite pour eux… Ce qui n’annonçait rien de bon dans la situation présente..
De son côté, Bill observait sa jeune compagne en songeant à la chance qu’il avait eu de la connaître. Et à la chance encore plus grande qu’il avait d’être celui qu’elle avait choisi. En vérité, il ne l’avait jamais avoué mais il était tombé amoureux d’Arabella dès l’instant où il l’avait vue pour la première fois et il était encore surpris qu’elle l’ait choisi lui au lieu de tous les pirates de l’équipage de sa mère qui la courtisaient, voyant en elle la future capitaine du navire fantastique de Laura Smith.
« William je … »
Le jeune Bill se raidit. Si Arabella l’appelait William à la place du Billy affectueux dont elle le gratifiait habituellement cela voulait dire que l’affaire était importante…
« Tu ? » Demanda-t-il la bouche sèche.
Arabella jeta un regard désespéré au reste de l’équipage qui paraissait s’être massé autour d’eux et les observait sans la moindre discrétion.
« Pas ici. Annonça-t-elle en l’entraînant vers la cale
- Arabella, ta mère m’a... Commença Bill qui n’avait pas envie de subir une des nombreuses remontrances de Laura.
- On s’en fiche ! Rétorqua Arabella. Elle et son bateau peuvent bien aller au diable. Je dois te parler sans attendre. »
Un étrange pressentiment serra le cœur de Bill, comme si il sentait que sa vie allait irrémédiablement changer sans qu’il parvienne à s’expliquer d’où lui venait cette certitude. Sa main dans celle d’Arabella il suivit la jeune femme jusqu’au plus profond des cales et lui lança un regard troublé tandis qu’elle prenait une profonde inspiration et mordait sa lèvre comme à chaque fois qu’elle se sentait gênée ou en difficulté
Arabella se retourna vers Billy et l’observa quelques secondes avant de se décider. Il était inutile d’attendre plus longtemps… Elle devait savoir. Pour prendre ensuite les décisions qui s’imposeraient
« J’attends un bébé. » Lâcha-t-elle d’une voix tendue.
La première réaction de Bill à cette annonce fut un soulagement intense. Arabella n’allait pas le quitter. Puis….
« Un quoi ?? » Réalisa-t-il soudain
Arabella serra légèrement les poings et lui lança un regard furieux.
« Oh ne fait pas comme si tu n’avais pas compris William Turner !! Je viens de te dire que tu m’as fait un bébé !!! »
Bill déglutit et ne répondit pas, le moment étant mal choisi pour signaler à Arabella que lorsqu’elle le fixait ainsi elle lui faisait penser à Laura dans ses plus mauvais jours.
« Billy ??? » Demanda Arabella, la colère laissant place à l’inquiétude.
Ce dernier ne répondit pas, partagé entre l’envie de pleurer de joie et une brutale angoisse à la pensée de la réaction que ne manquerait pas d’avoir Laura à cette nouvelle.
N’y tenant plus, Arabella le secoua brutalement.
« Enfin dis quelque chose !! »
William revint au présent et regarda Arabella. L’angoisse qu’il ressentait fut balayée par l’émoi manifeste d’Arabella et il la serra brusquement dans ses bras
« Je… C’est une magnifique nouvelle. » Réussit-il à dire
Le soulagement déferla en Arabella en l’entendant et elle se serra étroitement contre lui avant qu’il n’ajoute
« Mais enfin comment est-ce arrivé ? »
Les joues colorées par la colère, Arabella se détacha brutalement.
« Peut être que ce que nous faisons le soir dans ma cabine y est pour quelque chose William !!! »
L’embarras submergea le futur père et il leva les mains pour la calmer.
« Je, excuse-moi c’est juste que c’est si soudain et que … Que, qu’allons-nous faire ? »
Arabella souffla discrètement, soulagée. Il avait dit « nous » et non pas « tu » ce qui au vu des circonstances était plutôt encourageant.
« Je, j’avais pensé que peut être… Commença-t-elle avec précautions.
- Marions nous. » La coupa Bill avec impulsivité.
Bouche entrouverte, Arabella le regarda alors qu’il s’échauffait.
« Je... Tu as raison je suis responsable de ça alors il faut que je t’épouse.
- Ne te sens pas obligé. » Grinça Arabella qui appréciait moyennement le « il faut que je t’épouse »
Bill la regarda, surpris par sa froideur.
« Je … Arabella, je suis bien... Enfin c’est bien moi le…
- Ne t’avise pas de me demander une chose pareille William Turner !!! »
Gêné et en vérité ne sachant plus quoi dire pour ne pas faire d’impair, Bill cherchait ses mots lorsque Laura les rejoignit l’air furieux
« Puis-je savoir pourquoi vous avez déserté vos postes ? Etes-vous fous ou seulement inconscients ? La vie à bord d’un navire n’est pas le genre de chose que l’on prend à la légère et …
- Je vais épouser Arabella. La coupa Bill à qui l’idée plaisait de plus en plus. Enfin si vous voulez bien Madame, Capitaine… » Se reprit il avant de baisser la tête.
Laura accusa le coup tandis qu’Arabella lançait un regard de biais à Bill.
« Je n’ai pas encore accepté. » Souligna-t-elle
Laura les observa tous les deux et les mises en garde de Mr Reece sur l’intimité grandissante de ces deux-là lui revinrent brusquement en mémoire alors qu’elle n’y avait jusqu’à présent porté aucune attention.
« Pourquoi veux-tu l’épouser Billy ? » Demanda-t-elle avec un grincement de dents, espérant encore que la situation n’ait pas atteint un point catastrophique…
En effet, Billy Turner n’était certainement pas le parti qu’elle aurait choisi pour sa fille. Ce gars était trop mou, trop hésitant, pas assez … pas assez tout !!!
Conscient que Laura ne l’appréciait guère ou du moins pas assez pour lui confier sa fille, Bill répondit d’un ton hésitant.
« Parce que je l’aime. »
Laura leva les yeux au ciel, agacée par la réponse du jeune prétendant de sa fille qui confirmait ainsi tous les doutes qu’elle avait nourri à son sujet. De son côté, le visage d’Arabella s’éclaira.
« C’est vrai Billy ? C’est pour ça ? »
Sa décision prise, Bill répondit d’une voix plus affermie
« Oui.
- Alors je suis d’accord ! » S’exclama Arabella et prenant la main de son prétendant.
Laura haussa le sourcil.
« Hors de question. Je ne te laisserais pas t’engager à la hâte dans une union vouée à l’échec comme j’ai pu le faire avec ton père ma fille ! »
Furieuse, Arabella se retourna vers sa mère.
« Union que tu n’as pas endurée très longtemps Mère…
- Ce n’est pas la question. Trancha Laura. Je suis ta mère et tu es encore bien jeune pour …
- Il est trop tard pour jouer le rôle d’une mère avec moi !! La coupa Arabella. Pas alors que je vais à mon tour être mère !!! Et crois moi je ne compte pas être comme toi !! »
S’il avait pu se cacher dans un trou de souris, Bill l’aurait fait sans hésiter… Malheureusement pour lui La Fleur de la Mort était un navire dont son capitaine prenait grand soin, aussi n’avait-il aucune échappatoire au regard flambant de rage que Laura lui lança.
« J’ai du mal comprendre… »
Prudente, Arabella se plaça entre sa mère et son prétendant (elle n’avait pas l’intention de perdre le futur père de son bébé alors que celui-ci semblait décidé à faire d’elle la femme honorable qu’elle avait toujours rêvé d’être)
« Billy et moi nous allons avoir un bébé. » Répéta-t-elle.
A cet instant, Laura souhaita pouvoir disposer de la montre magique dont lui avait parlé Jack Sparrow et remonter ainsi le temps jusqu’à l’arrivée de Bill sur La Fleur de la Mort. La capitaine se délecta en esprit de la manière dont elle aurait dû coller une balle entre les deux yeux de Turner avant de revenir au présent.
« Comment as-tu pu être aussi … aussi bête !!! » Lança-t-elle à sa fille.
Arabella se crispa et posa une main protectrice sur ventre.
« Devenir mère n’est pas une erreur pour la plupart des femmes Mère. Mais une fois encore tu es incapable de comprendre ça !!! »
Laura serra les dents et se força au calme.
« Comment ai-je fait pour ne rien voir !! Ragea-t-elle
- Sans doute étais tu trop occupée avec Mr Reece pour faire attention à moi. Répliqua Arabella sur le même ton. Enfin, ce n’est pas comme si je n’avais pas l’habitude depuis le temps
- Ça suffit Arabella !! Je suis ta mère et je t’interdis de me parler sur ce ton
- Il est bien temps de t’en rappeler. » Ironisa Arabella tandis que Bill reculait prudemment
Découragée, Laura se tourna vers sa fille, oubliant pour l’instant l’imbécile auquel elle avait accordé ses faveurs
« Tu n’es pas obligée de l’épouser enfin si c’est lui le père… » Commença-t-elle, espérant brutalement que sa fille s’était donnée à un autre.
Arabella rougit violemment.
« C’est lui !! Tout le monde ne couche pas avec tout ce qui passe comme tu le fais !!!
- Je ne … Commença Laura avant de se reprendre. Tu n’as aucun droit de me juger.
- Toi non plus ! » Rétorqua Arabella.
Les deux femmes se jaugèrent un instant du regard, les narines fumantes puis Laura reprit :
« La Fleur de la Mort n’est pas un endroit pour un bébé. Commença-t-elle
- Pour une fois nous sommes d’accord. Ragea Arabella. C’est pour ça qu’une fois mariés Billy et moi nous nous installerons à terre pour élever William Junior.
- William Junior ??? » Demandèrent à l’unisson Bill et Laura, le premier avec ravissement, la seconde avec un dégoût non dissimulé.
Arabella, furieuse, les toisa avec délectation.
« Oui William Junior, c’est un garçon j’en suis certaine ! »
Laura se força au calme et fixa sa fille.
« Bella ...
- Ne m’appelle pas comme ça !! Et n’essaie pas de nous faire changer d’avis, Billy et moi on a pris notre décision !! On va se marier puis on s’installera à terre pour élever notre bébé !!! N’est-ce pas Billy ? »
L’intéressé lui lança un regard étourdi et hocha la tête par réflexe.
Laura, écumante de rage, les fixa.
« Vous faites une grossière erreur … Surtout toi ma fille, tu fais la plus grosse erreur de toute ta vie !!!
- Je ne vois pas mon enfant comme une erreur contrairement à toi… Mère. »
Laura se retint de justesse de la frapper et s’élança dans l’escalier qui menait au pont, folle de rage.
Une fois sa mère partie, Arabella se tourna vers Bill, vaguement honteuse.
« J’aurais dû t’en parler avant …
- De quoi ??? Demanda le jeune homme avec horreur, se demandant ce qu’elle lui cachait encore
- De mon projet d’élever notre fils à terre… Ainsi que ceux qui suivront.
- Ceux qui… » Balbutia Bill que sa paternité prochaine bouleversait déjà suffisamment sans avoir à penser à d’autres enfants
Arabella lui prit doucement la main.
« Qu’en penses-tu ? »
Bill plongea son regard dans celui d’Arabella. Il l’aimait… Dieu ce qu’il l’aimait… Et si elle voulait qu’ils s’installent à terre et bien peu importe du moment qu’ils étaient ensemble… Et puis après tout, l’idée d’un petit cottage en bordure de mer n’était pas si mauvaise, il pourrait fabriquer des paniers et les vendre aux gens des villages alentour et le mensonge qu’il avait servi à son oncle et à sa tante deviendrait ainsi réalité… Toutes ces pensées traversèrent l’esprit de Billy Turner tandis qu’il serrait la main d’Arabella Smith.
« J’en pense que c’est une excellente idée…. » Répondit-il finalement.
Écrire commentaire