Maison du gouverneur Swann.
Une jeune fille d'environ dix-huit ans était assise sous la tonnelle du jardin. En voyant son profil délicat et le vent jouer avec les boucles blondes de ses cheveux, Will ne put retenir un sourire. Mue par une intuition, elle tourna la tête à ce moment-là, ses yeux marron se plantèrent directement dans ceux noisette de Will. Le reconnaissant, elle se leva d'un bond et se précipita à sa rencontre.
« William que je suis contente de te voir ! Lui dit-elle en tendant les mains vers lui dans un geste familier d'affection.
- Mlle Swann, comment allez-vous ? » Déglutit Will avec peine.
Il s'inclina devant elle et instaura ainsi une distance entre eux
« Will, je t’ai dit cent fois de m'appeler Elizabeth ! Viens t’asseoir pour bavarder… »
Avant que Will ait eu le temps de trouver la réponse adéquate à cette aimable invitation, le gouverneur Swann fit son entrée dans le jardin. Weatherby considéra sa fille avec affection mais aussi une pointe d'agacement. Il ne lui plaisait guère de trouver sa fille seule en train de deviser avec ce jeune orphelin comme s'il eut été son égal ! Car enfin ce William Turner, aussi charmant soit-il, ne serait jamais qu'un forgeron !
« Ah vous voilà William ! Je vois qu'Elizabeth vous a tenu compagnie en attendant mon arrivée? Et bien je suis là à présent » Dit-il en lançant un regard appuyé en direction d'Elizabeth
Celle-ci comprit très bien le message que lui envoyait son père mais continua son babil en direction de Will que la situation embarrassait de plus en plus.
« Elizabeth, ma chérie, je crois que tu devrais nous laisser, j'ai des choses importantes à voir avec ce jeune homme.
- Bien père Soupira Elisabeth qui reconnut sa défaite, puis se tourna vers Will. Au revoir Will, à bientôt j'espère. Lui dit-elle avec un gracieux sourire
- Mlle Swann, ce fut un plaisir de vous rencontrer. » Lui répondit Will en s'inclinant
Elizabeth s'éloigna dans un tourbillon de jupes, inconsciente du regard admiratif dont la gratifia Will. Contrairement à sa fille, le gouverneur intercepta ce regard et fronça les sourcils. Il décida alors qu'il valait mieux remettre ce jeune homme à sa place avant qu'il ne l'oublie à cause de l'étourderie d'Elizabeth.
« J'espère que ma fille ne vous a pas trop ennuyé, maître Turner.
- Oh non monsieur le gouverneur. Elle a été charmante. Osa Will
- Charmante, oui comme toujours, j'ai de grands espoirs pour mon Elizabeth, d'ailleurs j'espère qu'une partie d'entre eux se concrétiseront à l'issue du bal de demain soir … Enfin cela ne vous concerne pas, aussi vais-je cesser de vous faire perdre votre temps précieux avec mes espoirs paternels et vous instruire de la commande que j'aimerais vous confier. »
Will comprit le message implicitement contenu dans la tirade du gouverneur et ne sut quoi répondre. Le père d'Elizabeth lui épargna cette peine et reprit le cours de la conversation
« Voilà j'aimerais beaucoup que vous vous chargiez de la réalisation d'un sabre d'apparat pour le capitaine Norrington. Enfin, quand je dis vous je veux bien entendu parler de votre maître. A ce propos pourquoi n'est-il pas venu en personne ?
- Oh nous avions une commande urgente à finir. Mentit Will
- Très bien, très bien, bon où en étais-je ? Ah oui le sabre d'apparat… je veux quelque chose de somptueux mais sans verser dans l'ostentatoire.. Vous voyez ?
- Oui monsieur. Acquiesça Will
- Parfait, je ne vous retiens pas dans ce cas. » Le congédia Weatherby.
Will repartit pour l'armurerie le cœur lourd. Oh bien sûr, même dans ses rêves les plus fous, il n'avait jamais imaginé être en mesure de séduire une jeune fille aussi accomplie que Mlle Swann. Mais l'entendre de la bouche de son père c'était autre chose. D'autant plus que, s'il avait bien compris le message envoyé par ce dernier, Elizabeth n'allait pas tarder à se fiancer, sûrement avec un beau parti ! Il soupira lourdement puis s'efforça de chasser le sourire d'Elizabeth de son esprit en effectuant quelques passes pour s'entraîner.
Tandis que Will subissait sans le savoir les premières morsures de la jalousie, Elizabeth non plus n'en menait pas large. Réfugiée dans sa chambre, elle contemplait le médaillon qu'elle avait jadis dérobé à Will. Le levant à hauteur de ses yeux, elle se mit à penser à leur première rencontre et au bateau qu'elle avait alors aperçu ce jour-là. Elle n'avait jamais eu l'occasion de demander à Will si ce bateau était le sien à l'origine. Rangeant d'un geste vif le médaillon dans sa cachette, Elizabeth se décida à agir, ça n'avait que trop duré... La curiosité la tenaillait de plus en plus chaque jour et elle ne supportait plus de ne pas savoir qui était réellement Will. Puisqu'elle ne pouvait pas parler à Will librement dans sa maison, la seule solution pour avoir les réponses à ses questions était d'aller lui rendre visite en ville.
Sa décision prise, elle sonna le cocher pour lui demander d'atteler la calèche. Son père arriva sur ces entrefaites.
« Elizabeth, ma chérie, tu sors ?
- Oh père, je ne vous avais pas entendu approcher…
- C'est ce que je vois ! Alors Elizabeth où comptes tu aller ainsi sans rien dire à personne ?
- Voyons père. Dit Elizabeth qui riait jaune. Bien sûr que je comptais vous en parler. Je me rends chez la couturière pour essayer ma robe pour le bal de demain soir…
- Oh oui bien sûr le bal ! Où avais-je la tête ? S'exclama Weatherby avec indulgence. Veux-tu que je t'accompagne ma chérie ?
- Oh non père ! Vous avez déjà tant à faire … Mary me suffira. Et puis j'aimerais vous faire la surprise de ma robe. Mentit Elizabeth
- Dans ce cas je ne retiens pas ma chérie. » Dit Weatherby ravi que sa fille prenne autant que lui à cœur le bal qui allait avoir lieu
Elizabeth soupira de soulagement puis monta en voiture avant que son père n'ait le temps de s'interroger sur cette hâte soudaine. Une fois que la voiture se fut suffisamment éloignée en direction de la ville, Elizabeth frappa à l'avant de la voiture pour attirer l'attention du cocher.
« Oui, Mademoiselle Swann ?
- Gérald, pourriez-vous faire un détour vers l'armurerie je vous prie ? »
Mary, la jeune bonne qui lui servait de chaperon, sursauta en entendant ces paroles. Elle se pencha sur sa maîtresse.
« Mlle, je ne crois pas que… »
Elle s'interrompit devant le regard glacial que la jeune fille lui lançait
« C'est mon père qui m'a chargée d'y passer, il avait oublié de mentionner un détail à l'apprenti. Mentit Elizabeth avec aplomb
- Oh, c'est qu’il ne m'en a rien dit Mademoiselle…
- Et pourquoi le ferait-il, Mary ? Doit-il rendre des comptes à une dame de compagnie ? Cesse donc toutes tes questions et laisse-moi m'acquitter de ma commission, je ne serais pas longue.
- Oh Mademoiselle, il me semble pourtant qu'il serait plus correct que ce soit moi qui se charge de cette course.
- Non, Mary voyons ma fille tu ne saurais pas quoi dire, tu te tromperais certainement dans le message à délivrer et tu nous ferais perdre du temps. Je m'en occuperai
- Mais Mademoiselle…
- Suffit Mary .Tu deviens offensante »
Mary se tut donc, même si elle était intimement persuadée que c'était plutôt un certain jeune homme qui attirait de cette façon sa jeune maîtresse à la forge…Mais qui était-elle pour juger ? De toute manière quoiqu'elle dise Elizabeth n'en ferait qu'à sa tête, il en allait toujours ainsi, surtout quand celle-ci prenait ce ton hautain ce qui lui arrivait rarement. En effet Mary aimait beaucoup se jeune maîtresse qui la traitait la plupart du temps comme un égale contrairement aux autres jeunes filles qu'elle connaissait … L'affaire devait donc être sérieuse pour qu'Elizabeth marque ainsi leur différence sociale. Bah sans doute une amourette se dit-elle en souriant.
Ignorant le projet d'Elizabeth, Will recevait une visite. Pauline, la fille de l'artisan voisin, une magnifique brune aux yeux verts testait son charme sur Will. Celui-ci que le discours du gouverneur avait laissé groggy, accueillit avec plaisir la diversion. Sans doute pour chasser l'image qui le hantait, Will se mit à répondre plus que de coutume aux avances de Pauline…
Et alors qu’Elizabeth mettait pied à terre devant la forge, elle vit Will enlacer la jeune fille et baiser doucement ses lèvres. La jeune fille devint rouge de fureur sans en connaître la raison et remonta précipitamment dans la voiture.
« Déjà ? S’étonna Mary
- Il n'y avait personne, un domestique s'en chargera plus tard. Jeta Elizabeth. En route Gérald, nous n'avons que trop perdu de temps! »
Pendant ce temps Will, qui n'avait pas vu la jeune fille, regrettait déjà l'impulsion qui l'avait poussé à embrasser Pauline et à lui donner de faux espoirs…
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