Il avait fallu un long moment à James Norrington pour s'endormir dans les bras de sa maîtresse mais au bout de quelques temps la fatigue et l'alcool avaient finalement eu raison de la peine et de l'incompréhension qui l'animaient. Audrey, qui l'avait guidé sans même qu'il s'en aperçoive jusqu'à son lit, resta dans les ténèbres, les yeux grands ouverts, une de ses mains posées sur le cœur de James comme dans une tentative inconsciente de protection. Elle savait que cette nuit venait de tout changer. Cette nuit non, tout a changé dès le moment où je l'ai ramené à la vie…
Audrey passa une main tremblante dans les cheveux de James Norrington et laissa son doigt courir le long de son visage. Elle n'avait pas besoin de lumière pour savoir à quoi il ressemblait en cet instant, elle n'avait pas non plus besoin de l'entendre renifler pour savoir que même dans son sommeil les larmes emplissaient à nouveau ses yeux. Elle le sentait au fond d'elle-même, tout comme elle savait que lorsqu'il l'avait prise tout à l'heure ce n'était pas à elle qu'il pensait mais à celle qui l'avait oublié si facilement. Sur cette pensée, Audrey ferma les yeux, elle devait prendre un peu de repos, la journée qui l'attendait serait à coup sûr plus que difficile.
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Alors que le navire d'Audrey et de James quittait mollement Port Royal, Mercer pénétra dans le bureau de Lord Beckett. Ce dernier était confortablement installé dans un fauteuil en velours rouge et faisait nonchalamment tourner son verre de cognac entre ses doigts tandis que bien au chaud dans les braises reposait le tison dont il s'était servi pour marquer un homme qui l'avait gravement offensé il y avait de ça des années. Mercer, s'avança, le cœur serré à l'idée qu'il allait gravement mécontenter son maître et même le mettre en rage s'il s'avérait que ce qu'il avait cru voir se vérifiait. Beckett prit une gorgée de son excellent cognac et l'interrogea tout en continuant à observer les flammes dansantes.
« Alors avez-vous trouvé Lady Beckett ? » Demanda-t-il d'un ton grinçant.
Mercer prit une grande respiration et lâcha d'une voix ténue la seule réponse qu'il avait à apporter.
« Non.
- NON ? Vous voulez dire que ma femme était quelque part dans cette région et que vous l'avez laissée filer ?
- Lord Beckett, je... Je vais la retrouver je vous assure. » Affirma Mercer précipitamment un peu affolé par la lueur qui venait de s'allumer dans les yeux de Beckett.
Ce dernier reprit d'une voix agacée.
« Et Miss Swann?
- Miss Swann euh je…
- Évidemment aucun résultat. Coupa Cutler d'une voix impatientée. Voyez-vous Mercer ce n'est pas tant que ça la femme que je cherche à retrouver mais plutôt l'objet qu'elle m'a dérobé. Expliqua-t-il tout en observant le fer rougi de son tison. Vous comprenez, j'attends depuis des années de l'avoir entre les mains, de sentir sa jolie petite nuque se briser sous mes doigts. Il me déplairait souverainement qu'elle rate son rendez-vous avec la mort. Quant à la charmante Miss Swann j'aimerais enfin pouvoir lui faire goûter les délices d'une vie à mes côtés. » Termina-t-il ironiquement.
Mercer, pétrifié, observait Beckett et cherchait à lire sur son visage les signes annonciateurs d'un débordement de rage, n'osant lui dire la suite. Cutler reprit d'un ton mesuré.
« Y'a-t-il autre chose Mercer ? Quelque chose que je devrais savoir ? »
Mercer déglutit nerveusement avant de prendre la parole.
« Mes espions m'ont rapporté une curieuse histoire aujourd'hui. Commença-t-il.
- Continuez. L'encouragea Beckett d'une voix inquiétante.
- Il parait que certains ont vu un homme se saouler et repartir dans un état lamentable après avoir appris ce qui s'était produit le jour de vos noces. Il semblait particulièrement intéressé par la personne de votre fiancée selon mes sources. »
Beckett eut un claquement impatient de langue et but une grande gorgée de cognac.
« Les faits Mercer, venez en aux faits. L'identité de cet homme ?
- Pas certaine mais il semblerait qu'il y ait une ressemblance avec le Commodore Norrington. »
Pour le coup Beckett perdit un instant son flegme avant de réfléchir.
« Et bien Mercer mettez la main sur Norrington et je suis sûr que vous trouverez Lady Beckett par la même occasion. »
Mercer afficha un air surpris qui énerva encore plus Beckett qui reprit d'un ton exaspéré.
« Qui a ramené le Commodore à la vie selon vous ? A moins que vous ne sachiez plus tuer un homme correctement !
- Lord Beckett je…
- Taisez-vous ! Pourquoi croyez-vous que je cherche ma femme ! Elle a le livre et apparemment elle sait s'en servir ! »
Mercer le regarda un instant sans comprendre puis reprit la parole d'une voix inquiète.
« Vous voulez dire que c'est votre femme qui l'a ramené ?? Mais pourquoi ?
- Pourquoi ? Pour me contrer sans doute…Cette pauvre idiote s'imagine sans doute assez puissante pour ça. Mais elle comprendra vite qu'elle s'est lourdement méprise. Cherchez-la. Et ramenez la moi. Avec ce cher Norrington. Sourit cruellement Beckett.
- Bien Lord Beckett … et pour Miss Swann ?
- Elle reste votre priorité Mercer. Je la veux. Énonça Beckett comme une évidence
- Je vais à Tortuga. C'est encore là-bas que je trouverais le plus d'informations. L'informa Mercer.
- Ramenez les moi c'est tout ! »
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James Norrington s'éveilla dans des draps frais avec un mal de crâne monstrueux et la gorge sèche. Ses pensées étaient plus que confuses et il mit un certain temps à réaliser que ce qu'il avait vécu la veille était bien réel. Le drap à ses côtés portait encore l'empreinte chaude du corps d'Audrey mais cependant la jeune femme était absente. James se leva, il rougit de se trouver nu et la scène de la veille lui revint brutalement en mémoire. Il jura pour lui-même, il s'était comporté comme un rustre et la violence dont il avait preuve la veille ne lui ressemblait certes pas ! Embarrassé, il ramassa et passa ses vêtements avant de se diriger vers la cabine qu'il occupait habituellement. A son entrée, Audrey se retourna et prit une grande inspiration. Pendant un instant ils se regardèrent sans savoir quoi se dire. James honteux de son comportement, ne savait pas comment aborder la jeune femme. Audrey quand à elle sentait son cœur battre à mesure que le Commodore s'approchait d'elle. Elle avait entendu la porte s'ouvrir tout comme elle avait reconnu le pas de James, elle avait senti chacune de ses hésitations, devinant sans peine le trouble qui l'animait. Sans le regarder elle prit la parole.
« Je vous dois des explications je crois.
- Et moi des excuses, mon comportement de cette nuit est inqualifiable.
- Mais vos reproches étaient justifiés.
- Pas mon comportement. Je vous présente mes excuses. Je, j'espère juste ne pas vous avoir fait trop de mal. » Déclara avec maladresse James avant de s'interrompre troublé par le sous-entendu contenu dans ses paroles.
Pour la première fois depuis le début de leur échange, Audrey se retourna et fit face à James, son regard glissa sans même qu'elle s'en rende compte sur ses lèvres puis ses mains qui l'avaient violentée la veille avant de revenir se poser sur le visage penaud du Commodore.
« J'ai connu pire… »
James rougit encore plus violemment en repensant aux marques qui maculaient le dos de la jeune femme. Lui qui avait si sévèrement condamné un tel acte il se savait avoir été non loin d'en commettre un semblable, tant sa rage envers Elizabeth était importante. Comment avait-elle pu lui faire une chose pareille ? Tout cela parce qu'elle le croyait mort ou était ce déjà là avant ? James retint un hoquet en songeant qu'Elizabeth était peut être au courant de ce qui lui était réellement arrivée et qu'elle. Non c'était trop affreux, elle ne pouvait avoir fait cela. Perdu, cherchant désespérément des réponses, James osa enfin regarder Audrey en face.
« Racontez s'il vous plait. J'ai besoin de savoir… »
Audrey lui désigna un siège d'un geste et leur servit à tous deux un verre sans tenir compte du geste de dénégation de James. Elle but le sien d'un geste précis, qui dénotait une ancienne habitude avant de plonger ses grands yeux lilas dans ceux de Norrington.
« Mon histoire est la même que celle de votre fiancée mais au chapitre d'après. J'ai été une jeune fille pure, insouciante, délicate même. J'ai grandi dans un univers protégé, mon père était un homme important au sein de la Compagnie des Indes, ma famille était riche. Ma vie était parfaite. Puis j'ai rencontré un homme. »
Audrey s'interrompit un bref instant pour se resservir un verre et James, le cœur serré, constata que ses mains tremblaient comme jamais il ne les avait vues faire auparavant. Audrey but son verre d'un trait avant de reprendre sans que James n'ait trouvé quoi lui dire.
« J'avais un peu près l'âge de votre fiancée lorsque je l'ai connu. J'avais bon nombre de prétendants, non pas que j'étais une beauté mais, comme je vous l'ai dit, la fortune de mon père était conséquente et son influence plus encore. A cette époque, c'était un jeune homme un peu comme vous avez du l'être, charmant, charmeur, ambitieux. Avec lui les choses semblaient toujours plus excitantes, plus amusantes, il savait instiller dans les conversations ce petit parfum d'interdit sans pour autant dépasser les bornes de la morale. Sa voix était envoûtante et chacun de ses gestes plein de promesses, presque sensuels… Comment une jeune fille peut lutter contre cela ? Alors au bout d'une cour menée tambour battant, persuadée qu'une vie de rêve m'attendait, j'ai accepté de l'épouser. Son gage d'époux vous l'avez vu, c'est cet anneau que je porte toujours autour du cou. »
James hocha silencieusement la tête, il ne voulait pas troubler un récit qui, à en juger par la crispation des lèvres de sa narratrice, s'avérait difficile. Au lieu de parler il lui prit la main et la serra doucement pour l'encourager à poursuivre. Audrey lui lança un regard empli de reconnaissance avant de reprendre la parole.
« Vous avez lu la phrase qui y est gravée. Ce Tu m'appartiens n'est pas un gage amoureux au sens où vous l'entendez, les mots expriment réellement ce qu'il en est. En devenant la femme de cet homme je suis devenue sa propriété, son jouet. Peu à peu ma vie a glissé dans une sorte de brouillard où la souffrance et la luxure se côtoyaient étroitement. J'ai fait des choses dont je ne suis pas fière. » Dit-elle en rougissant et en détournant momentanément le regard.
James serra plus fort sa main et la força à le regarder. Avant qu'il ait eu le temps de parler, elle reprit son récit.
« Je détestais ça. La dernière fois que nous avons eu une relation intime c'était sur ce navire que vous appelez le Black Pearl mais que moi j'ai connu sous le nom de Wicked Wench. C'est durant cette séance qu'il m'a fait ces marques. Je me souviens l'avoir supplié encore et encore de ne plus me frapper mais plus je l'implorais plus il frappait, jusqu'à me laisser à demi morte mais toutefois consciente. Et alors il m'a prise comme une bête. Il n'y pas d'autres mots. Ensuite il m’a attachée avec des fers dans ma cabine. Il m'a laissée là plusieurs jours. Durant ce temps, sans manger, sans boire, j'ai cru mourir cent fois. Jusqu'à ce que finalement une mutinerie éclate à bord du navire, un membre de l'équipage avait découvert que nous transportions des esclaves et s'est mis en devoir de les libérer. Bien sur mon époux ne l'a pas laissé faire. Il l'a traîné dans notre cabine et il l'a marqué comme un animal, de la marque des pirates. Et puis contre toute attente, l'autre a réussi à se dégager. Et il m'a délivrée. » Finit-elle dans un murmure.
James la regarda, effaré par la terreur qu'il lisait encore dans ses yeux, il se décida à prendre la parole.
« Mais tout cela est derrière vous à présent non ? Cet homme, votre mari il ne peut pas vous retrouver et même s'il le faisait rien ne vous oblige à retourner près de lui !
- Vous ne comprenez pas. Déclara tristement Audrey. Je suis liée à lui, il a une sorte de pouvoir sur moi. À cause de cet anneau. Je vous l'ai dit les mots signifient exactement ce qu'il en est. Je suis restée cachée des années, mais lorsqu'il a envoyé son homme de main vous tuer, je n'ai pas pu rester à l'abri. Il est dangereux, beaucoup plus que vous ne le pensez. Il veut le pouvoir et utilisera toutes les armes à sa disposition pour l'avoir, il n'a aucun scrupule. Il est vil et cruel, il aime briser les gens et s'il a décidé de s'emparer de votre fiancée…
- Cutler Beckett… Vous êtes la femme de Beckett ! Mais il ne peut pas épouser Elizabeth ! Il est déjà marié avec vous ! »
En entendant le nom à voix haute, Audrey eut un mouvement de recul tandis que son visage exprimait brièvement une terreur sans borne. Elle s'efforça de se maîtriser avant de répondre d'une voix qui tremblait un peu.
« Vous croyez que ça va l'arrêter ? Non en vérité il me cherche. Je le sais je le sens, il veut récupérer son livre.
- Son livre, mais quel livre ?
- Celui dans lequel j'ai trouvé la formule qui m'a permis de vous ressusciter. »
A ces mots, James recula brutalement. Ainsi donc c'était vrai, il était mort. Cette nouvelle lui causa un effroi tel qu'il n'en avait jamais ressenti, mais dans quoi était-il donc engagé ? Quelles étaient ces personnes qui avaient le pouvoir de redonner la vie ou d'enchaîner un être humain à l'aide d'un simple anneau ?
« Comment est-ce possible ? Et pourquoi moi ? Pourquoi Elizabeth ?
- Vous, vous n'êtes pas important pour mon mari, je vous ai ressuscité au départ pour savoir ce qu'il cherchait. Pour celle que vous aimez, c'est plus compliqué. Je... Elle est à la fois claire et emplie de ténèbres, je ne sais pas ce qui pourrait arriver s'il mettait la main sur elle. Elle n'est pas comme moi, je crois qu'elle est plus forte d'un certain côté mais aussi plus fragile. Mais tant qu'elle reste loin de lui, tant qu'elle ne l'épouse pas, elle ne risque rien. Pour l'heure le plus urgent est d'empêcher mon mari d'atteindre son but.
- Et quel est-ce but au juste ?
- Devenir le maître des océans.
- Rien que ça ? Voyons Audrey ! Comment voulez-vous que nous fassions ?
- Nous aurons besoin d'aide. Il y a une femme, une sorcière vaudou, celle chez qui Jack m'a conduite après m'avoir délivrée, c'est elle qui m'a appris à me servir du livre et à me cacher, elle nous aidera. »
Mais James n'écoutait plus, paralysé par un seul petit prénom. Il fixa Audrey alors que toutes ses certitudes sur l'ordre, la loi et l'honneur menaçaient de voler en éclat.
« Quand vous dites Jack, vous ne voulez pas parler de Jack Sparrow n'est-ce pas ? Demanda-t-il d'un ton presque suppliant tant il souhaitait une réponse négative.
- Si, il m'a libérée. Moi et tous les autres puis il a fait sauter le navire, je lui dois la vie et ma liberté. Vous le connaissez ? »
James la fixa, anéanti. Tout ce à quoi il croyait venait de se briser et il ne savait pas quoi répondre à cela. Après un long moment il prit sa décision.
« Allons trouver cette sorcière dont vous m'avez parlé. Peut-être aura-t-elle aussi une solution pour sauver Elizabeth.
- Oui évidemment Elizabeth. Murmura Audrey avec amertume avant de sortir, laissant James tenter de reconstituer les morceaux épars de sa vie.
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