James Norrington, face contre terre, gisait, inconscient, sur le sol du Purgatoire. Il avait eu peu de répit depuis la mort de Jones qu'il ignorait toujours mais depuis quelques heures les voix le laissaient un peu en paix. Il reprenait doucement ses sens, habitué à l'enfer permanent qu'était devenue sa vie. James ne désirait plus rien, il n'avait même pas la force d'attendre la mort, la seule chose qui mobilisait ses facultés mentales ou ce qu'il en restait, c’était de résister aux voix d'Elizabeth et d'Ellen qui se disputaient âprement son esprit. Il restait là où il était tombé la dernière fois, le cœur battant, en attendant le nouvel assaut de ses tortionnaires qui ne saurait tarder.
Will, en plongée vers le Purgatoire, observa d'un œil curieux ce qui l'entourait. Le mur de souffrance de Jones, jadis rempli, était à présent pratiquement vierge mais on pouvait y voir apparaitre ici et là des images d'Elizabeth et de Jack, le visage de l'homme que Will avait égorgé un peu plus tôt, et d'autres souvenirs personnels. Il observait cet étrange phénomène d'un œil curieux, rien ne l'avait préparé à ceci et il ne connaissait pas le secret du passage qui menait au Purgatoire. Se promettant d'étudier cela de plus près ultérieurement, il avait en effet remarqué des parchemins soigneusement rangés dans sa cabine, il parvint finalement dans ce qui était désormais son Purgatoire. La première chose qu'il vit fut une forme sans consistance et à peine humaine sur le sol. Se rapprochant un peu il constata que c'était Norrington.
James leva des yeux injectés de sang vers lui et le reconnu instantanément .Voilà autre chose le gamin vient me tourmenter aussi à présent pensa t'il. Will lui décocha un sourire sinistre, satisfait de constater à quel point l'homme avait l'air mal en point. Il prit la parole.
« Bonjour ex Commodore.
- Que faites-vous là vous ? Partez je sais que vous n'êtes qu'une illusion ! Dit James qui s'accrochait désespérément aux bribes de sa raison vacillante.
- Une illusion... » Releva ironiquement Will.
Il prit James par le cou et commença à serrer d'une main.
« Croyez-vous qu'une illusion puisse faire ceci ex Commodore ? » Dit-il en insistant désagréablement sur la fin de sa phrase.
Privé en partie d'oxygène, James se sentit suffoquer, il secoua faiblement la tête. Will lui fit un petit sourire et relâcha doucement son étreinte.
« La question à présent, c'est que vais-je bien pouvoir faire de vous… lui dit-il, songeur.
- Que voulez-vous dire ? Et comment avez-vous réussi à venir ici ? Demanda Norrington qui entrevit un espoir de sortir de l'endroit où il se trouvait.
- Venir ici ? Rien de plus simple cet endroit m'appartient. Déclara Will avec une fierté amère dans la voix.
- Vous avez perdu l'esprit mon pauvre ! Éclata James. Cet enfer est le Purgatoire de Jones, ne le savez-vous pas ?
- Jones est mort. Lâcha laconiquement Will.
- Mort ? Mais alors ... » commença James qui ne savait plus quoi dire.
Will le regarda sans aménité se débattre avec les questions qui lui brûlaient les lèvres. Il attendait avec impatience que l'homme lui pose la question dont la réponse allait à coup sûr lui permettre de le blesser mortellement mais avant il voulait savoir quelque chose, être bien sûr.
« Dites-moi ex Commodore que vouliez-vous dire quand vous disiez que vous me plaigniez et que les choses n'avaient pas changées ?
- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler ... Commença Norrington, évasif.
- Je veux parler d'Elizabeth et de Sparrow. Dit Will avec effort tandis que son regard s'obscurcissait.
- Ah !se contenta de dire Norrington. Et bien je vois que leurs retrouvailles ont été affectueuses. » Ajouta-t-il avec un sourire amer.
Celui-ci s'effaça brutalement lorsque Will lui décocha le premier coup. Il s'effondra rapidement à terre sous la correction que l'autre lui infligeait, sans avoir la force de se défendre. Will frappait à l'aveuglette ne sachant même plus quel homme était en face de lui. Il redoubla ses coups, s'imaginant tenir enfin Sparrow, la rage s'était entièrement emparée de lui, lorsqu'un râle de douleur de Norrington pénétra sa conscience. Reprenant ses esprits, il contempla l'homme ensanglanté qui gisait à ses pieds, Will recula en voyant l'état dans lequel il avait mis son prisonnier, alors l'ancien Will, celui qu'il était toujours quelque part tapi au fond de lui, eut pitié de Norrington. Il le souleva et l'emporta avec lui à bord du Hollandais Volant.
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Lorsque Bill le vit revenir avec son fardeau, il sourit à son fils.
« Tu as eu pitié de lui, tu l'as ramené c'est bien.
- Je l'ai ramené parce qu'il m'embarrassait c'est tout. » Déclara Will d'un ton froid qui jeta le commodore dans un coin.
Sentant le vent sur son visage, et le roulis régulier de la mer, Norrington ouvrit des yeux ébahis, il se demanda s'il ne rêvait pas puis vint la douleur que lui avait laissée la rossée administrée par Will. Il regarda autour de lui.
« Où suis-je ? Demanda-t-il d'une voix mal assurée, se méfiant désormais des réactions de Will.
- A bord du Hollandais Volant, votre nouvelle résidence.
- Mais si Jones est mort je peux partir ! Nous pouvons tous partir !
- Faux ex commodore... Souligna Will. Le Hollandais Volant a un nouveau capitaine et il est devant vous, » finit-il en souriant méchamment.
James n'en croyait pas ses yeux. Ce n'était pas possible que le jeune forgeron soit devenu le capitaine de ce navire cauchemardesque et le retienne à présent en otage! C'était insensé !
« Vous ? Répéta t'il incrédule. Pourquoi ?
- Comment osez-vous me poser cette question ? Vous savez bien ce qui se passe entre eux, ce qu'il a fait ! Cria Will en serrant les poings.
- Ah alors elle a finalement choisi le pirate, constata Norrington en grimaçant. Je suis désolé Turner.
- Ne le soyez pas pour moi, soyez le pour vous... Après tout si Jones a libéré Sparrow c'est à cause de vous ! Vous allez devoir payer les conséquences de vos actes. »
James baissa la tête tristement.
« Faites ce que vous voulez, j'ai déjà tout perdu que pouvez-vous m'ôtez d'autre ? Je n'ai plus de position, d’honneur, d’amis et comme vous j'ai perdu celle que j'aimais. Que voulez-vous me faire de plus ? Me condamnez à rester sur ce navire ? A côté de ce que j'ai vécu dans le Purgatoire de Jones se sera un paradis ! Vous n'imaginez pas. J'ai failli perdre la raison là-bas et même maintenant je me demande si je ne suis pas encore en train de délirer. Alors vous voyez Monsieur Turner vous ne pouvez plus rien contre moi. Ria t’il amèrement.
- C'est Capitaine Turner. Rectifia machinalement Will sans se rendre compte de ce qu'il disait. Quand à ce que je peux faire ou pas contre vous ne soyez pas si sûr de tout savoir, vous le regretteriez. »
Norrington se contenta d'éclater de rire et regarda Will.
« Et vous croyez que vous me faites peur ! Allons Capitaine Turner vous n'arrivez pas à la cheville de Jones en ce qui concerne la torture je vous le garantis. D'ailleurs vous ne m'avez toujours pas répondu, comment est-il mort ? »
Les lèvres de Will s'étirèrent en un mince sourire. Il connaissait James Norrington depuis des années et il savait très bien la place que celui-ci accordait à la famille et à l'honneur de celle-ci. Il est donc certain de lui asséner un coup mortel dans quelques instants.
« Il s'est suicidé. Lâcha-t-il en souriant.
- Vous plaisantez ? Pourquoi aurait il fait cela, c’est complètement idiot !
- A cause de vous James Norrington... Dit Will toujours souriant. Savez-vous qui était en réalité Davy Jones?
- Bien sûr. Répondit Norrington qui ne comprenait pas ce qu'il venait faire dans cette histoire. C'était un maudit, rejeté de Dieu et des hommes sans sens moral, sans conscience ! Ce que vous allez devenir vous aussi. Ne put-il s'empêcher d'ajouter avec effroi.
- Je ne parle pas de ce qu'il est devenu, je parle de celui qu'il a été avant de commander le Hollandais Volant... Répliqua Will, ignorant le sous-entendu de Norrington.
- Celui qu'il était avant ? Mais comment voulez-vous que je le sache Turner ?
- Vous devriez, après tout c'est aussi votre histoire. Répondit Will qui se délectait par avance du mal que la nouvelle allait faire à James.
- Mon histoire ? Je ne comprends rien à votre discours ! Êtes-vous devenu fou ?
- Fou moi ? Non j'aurais préféré mais je suis on ne peut plus lucide. Dit Will avec amertume. Puisqu'apparemment vous ignorez tout de votre famille je vais me faire un devoir de vous éclairer. Le véritable nom de Jones était Edward. Edward Norrington. Ce nom vous dit quelque chose je suppose ?
- Non ... c'est impossible, vous ... vous mentez. Gémit James, livide.
- J'étais sûr que vous diriez ça. Tenez, regardez. » Lui dit Will en lui tendant les papiers de Jones qu'il avait trouvés.
Norrington les prit d'une main tremblante, il n'osait croire l'affreuse vérité et commençait à entrevoir le mensonge sur lequel était basée sa lignée. Il parcourut les documents fiévreusement, cherchant une preuve de ce qu'il soupçonnait. C'est alors qu'il tomba sur la dernière lettre envoyée à Edward à sa femme.
« Ellen... murmura t'il. Alors c'était ça, c'était elle. L'enfant, comment s'appelait il ? » Se demanda-t-il à lui-même en retournant les papiers en tous sens jusqu'à ce qu'il tombe sur le journal de bord d'Edward.
Il prit une grande inspiration tandis que Will le dévisageait avec attention et savourait les émotions destructrices qui passaient sur son visage. Bill les observa tous deux, les yeux emplis de pitié et de tristesse. James ouvrit le journal à sa dernière page.
Année 1200
Je ne sais comment exprimer ce que je ressens. Les hommes et moi nous avons repris la mer à bord du Suddenly. En rentrant à Plymouth, j'ai découvert que mon enfant, le petit George était né et qu’Ellen l'élevait avec mon propre frère John. Je ne sais plus quoi faire, je vogue sans destination, sans envie, sans rien à attendre de l'existence. J'ai le cœur brisé...Ces mots sont les derniers que j'écrirai dans ce journal de bord, ma vie ne veut plus la peine d'être racontée, elle n'est plus, je suis mort quand Ellen m'a quitté. Le sort a été cruel avec moi mais je jure que je me vengerais ...
La suite était illisible, l'encre brouillée par ce qui devait être des larmes. James referma le livre très lentement, anéanti par ce qu'il venait de découvrir sur lui, sur son ascendance. Will le considéra avec ironie.
« Toutes mes condoléances pour votre ancêtre, Commodore. J'espère que ça ne vous posera pas trop de problèmes de servir comme simple marin sur ce qui est en quelque sorte le navire familial. » Déclara Will en éclatant de rire devant la mine défaite de Norrington.
James le regarda, hagard.
« Jones savait il qui j'étais ?
- Non, il ne l'a appris que lorsque nous lui avons rendu son cœur quand Elisabeth lui a demandé de vous libérer. Quand il a su ce qu'il vous avait fait à vous, son descendant, il ne l'a pas supporté et s'est supprimé. Ce faisant, il a maudit ce navire et m'a empêché de libérer mon père, à cause de vous ! Cracha Will. Maintenant sortez d'ici, je vous ai assez vu. »
Norrington obéit comme dans un rêve, comprenant enfin ce qui s'était passé. Il découvrit avec un léger soulagement qu'Ellen était finalement réelle en quelque sorte et qu'elle faisait partie des souvenirs de Jones qui s'étaient superposés aux siens.
Comme un fantôme, il se rendit sur le pont du Hollandais Volant où les autres hommes le regardaient d'un air moqueur.
« Voilà notre nouvelle recrue lança Maccus. Il parait que c'est un noble, l'ex commodore de Port Royal ! »
L'ignorant superbement, James s'empara d'une flasque de rhum et s'abreuva longuement, il ne voyait plus d'intérêt à rester sobre dans sa situation actuelle et avait surtout un besoin urgent de digérer la nouvelle qu'il venait d’apprendre. Will, sur le seuil de sa cabine, le contempla ironiquement. Il s'adressa à Maccus.
« Oh notre nouvelle recrue est plus que l'ancien commodore de Port Royal, c'est un descendant direct de votre ancien capitaine, Jones. » Annonça-t-il avec un sourire cruel avant de rentrer à nouveau dans ses quartiers.
Bill le regarda, effaré par ce qu'il était en train de devenir.
« Tu te rends compte de ce qu'ils vont lui faire après ce que tu leur as dit ? Lui demanda-t-il au moment précis où les premiers cris de Norrington retentissaient. Ils ne lui pardonneront pas d'être de la famille de celui qui les a condamnés à cette vie misérable, ils vont le torturer encore et encore et lui ne peut même pas mourir !
- Je sais. » Répondit simplement Will faisant taire la petite voix de sa conscience qui s'entêtait encore à le tourmenter.
Leur conversation fut rapidement interrompue par Maccus qui frappa un coup discret à la porte de la cabine de Will.
« Capitaine, un navire est en vue, nous attendons vos instructions. »
Will sortit de la pièce en souriant. Il balaya d'un regard la scène qui s'étendait sous ses yeux. Norrington était étendu, ensanglanté dans un coin, les autres l'avaient fouetté jusqu'à ce qu'il leur demande grâce à genoux. Bill l'aperçut aussi et ne put retenir une grimace de dégout, il ne savait que trop bien ce que Norrington endurait actuellement. Will se tourna vers Maccus.
« Alors ce navire ? Où est-il ? »
Pour toute réponse ce dernier lui tendit la longue vue. Will la prit avec un sourire qui s'effaça rapidement.
« Le Black Pearl. » Murmura-t-il.
Bill qui avait reconnu le bateau lui aussi, le regarda avec effroi.
« Oh non mon fils, je t'en conjure ne fais pas ça. L'exhorta t'il. Ne laisse pas la haine prendre possession de toi. »
Will les yeux rivés à la longue vue, ne l'écoutait pas, il n'entendait personne. Devant lui se tenait Elizabeth, qui regardait dans sa direction sans le voir, un doux sourire sur son visage, elle était seule et semblait si heureuse que cela lui fit mal. Les minutes passèrent mais Will ne pouvait détacher son regard de la jeune femme qu'il contemplait d'un air avide. À cet instant il sut qu'il ne pourrait pas le faire. Il grimaça de rage, atterré de découvrir qu'il avait finalement encore une faiblesse dans l'armure qu'il s'était forgée. Il était incapable d'attaquer le Pearl, il en mourrait d'envie mais il ne voulait pas montrer l'homme qu'il était devenu à Elizabeth, il ne voulait pas qu'elle le déteste pour lui avoir pris son bonheur. Finalement, le fait de s'être arraché le cœur ne lui avait rien apporté puisqu'il souffrait encore dans son âme et ne trouvait même pas la force de se venger de l'homme qui lui avait tout pris. Bien sûr il aurait pu lâcher le Kraken sur eux mais il connaissait suffisamment Elizabeth pour savoir qu'elle serait prête à tout pour le protéger et il ne voulait pas qu'il lui arrive quoi que ce soit malgré le mal qu'elle lui avait fait. Will ferma brièvement les yeux, conscient que l'équipage attendait ses ordres et que ceux-ci allaient les décevoir.
« Ignorez ce navire, dit-il, la mort dans l'âme. Le Black Pearl n'existe pas pour nous. Jamais, vous avez compris, je ne veux plus jamais en entendre parler ! Cria-t-il en refermant la longue vue d'un geste rageur. Tu as de la chance Sparrow. » Ajouta-t-il plus bas sans prêter attention aux murmures indignés de ses hommes.
Bill le contempla d'un air ému, et lui mit la main sur l'épaule.
« C'est bien fils, tu as écouté ta conscience et tu as agi comme il le fallait. »
Will se dégagea de son étreinte brutalement et s'enferma dans sa cabine.
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Une fois à l'intérieur, il s'assit devant l'orgue de son prédécesseur et commença machinalement à reproduire l'air que celui-ci jouait. Il comprenait à présent la relation qui unissait Jones à sa musique. Lui aussi ressentait l'impuissance, l'enfermement de son âme dans un corps sans cœur mais pourtant encore capable de ressentir, de souffrir. Il savait déjà que tant que son tourment serait en vie il ne parviendrait pas à trouver la paix et se demandait si même c'était possible. Mais il ne pouvait se résoudre à la blesser, il ne pouvait supporter l'idée qu'un jour elle puisse le haïr. Il comprenait à présent les mots que Tia avait prononcés lorsqu'elle lui avait dit qu'Elizabeth était si incrustée en lui qu'elle doutait de l'efficacité du procédé pour ce qui la concernait. Fugacement il se demanda si Jones avait réussi à oublier son Ellen. Son regard tombant sur la boite à musique et Will se dit ironiquement que l'autre n'y était probablement pas parvenu non plus. A cette pensée, Will joua plus fort sans se rendre compte que des larmes s'échappaient de ses yeux et roulaient sur les coquillages qui commençaient peu à peu à recouvrir son visage.
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