Ignorant totalement les derniers événements et à vrai dire s'en moquant comme d'une guigne, James Norrington reprit conscience après s'être saoulé à mort. Il s'éveilla lentement, soulagé d'échapper au cauchemar qu'il venait de faire. Il ouvrit les yeux et sentit un frisson glacé lui remonter le long de l'échine. Non ce n'était pas un mauvais rêve. L'environnement qui l'entourait était pareil aux souvenirs que lui avait laissés son sommeil d'ivrogne. Les rivières de rhum étaient toujours là intactes et semblaient impossibles à tarir.
James se mit péniblement sur ses jambes, sa tête lui tournait et il sentait des images enfouies essayer de pénétrer sa conscience. Heureusement pour lui, il était tellement abruti par l'alcool qu'il avait ingurgité ses dernières heures que même les images de souffrances appartenant à Jones ne parvenaient plus à l'atteindre. Il essaya de rassembler ses esprits, ses yeux lui brulaient encore, dernier témoignage des larmes qu'il n'avait cessé de verser depuis son arrivée dans ce lieu et s’il n'avait pas éprouvé cette douleur lancinante, il eut pu se croire mort tant il se sentait coupé du réel. Il avait l'impression de percevoir les choses qui l'entouraient à travers un kaléidoscope d'images troubles. Il ne parvenait plus à faire la différence entre l'endroit où il se trouvait et les images que son esprit ou son inconscient généraient. Il leva sa main à hauteur de son visage et celle-ci lui parut étrangère, comme sil elle ne faisait plus partie de lui. Il avait l'impression bizarre de ne plus être lui.
D'ailleurs qui était-il au juste ? Il tenta d'ordonner sa pensée afin d'y voir un peu plus clair. Voyons il était le commodore Norrington, de Port Royal, euh était-il encore Commodore ? Après mure réflexion il se souvint de sa fuite du Majestic, donc il n'était probablement plus qu'un hors la loi. James sourit, il progressait un peu, autour de lui les choses paraissaient moins floues même si des zones d'ombre persistaient. Second point que faisait-il ici ? Euh il se souvenait confusément de s'être déshonoré et que sa seule chance de retrouver un peu d'estime de soi avait été de venir ici à la place de… A la place de qui, déjà ? Norrington sentit la panique l'envahir, il ne se rappelait plus et pourtant ce devait être important pour qu'il se sacrifie ainsi. Il respira à grand coups pour se calmer et essaya de ne pas penser aux effluves qui venaient lui chatouiller les narines. Au bout d'un temps qui lui parut durer des heures il se souvint. Jack Sparrrow, il était ici pour sauver ce type qu'il haïssait. D'un coup les souvenirs de sa vie passée lui revinrent. Alors il secoua la tête et pencha machinalement sur la source afin de s'abreuver, il avait décidé que finalement l'oubli était préférable à sa réalité.
Au bout de quelques temps, les images de Davy Jones commencèrent à revenir hanter son esprit. James secoua la tête violemment dans une tentative dérisoire pour les chasser mais petit à petit, gorgée après gorgée, insidieusement, le délire reprit possession de lui. Soudain, ses yeux s'agrandirent il n'était plus seul. Devant lui une femme venait d’apparaître. Elle avança lentement vers lui, ses longs cheveux blonds ondoyants au rythme de ses pas.
« Elizabeth ? C'est bien vous ? Demanda-t-il, plein d'espoir.
- Oui James c'est moi. Répondit la femme en se penchant doucement vers lui.
- Oh Elizabeth vous m'avez donc pardonné ce que je vous ai fait, balbutia t'il avec émotion.
- Bien sûr, ce n'était pas votre faute, vous n'avez fait que suivre les ordres. Lui dit-elle en souriant.
- Oh j'ai eu si peur que vous ne me pardonniez jamais, vous savez Elizabeth je vous aime, je vous ai toujours aimée depuis le premier jour où je vous ai vue je crois bien. Bien sûr je ne peux pas espérer que ce soit réciproque mais si seulement vous m'accordiez à nouveau votre amitié et votre confiance je vous promets de m'en montrer digne.
- Chut ! Dit-elle en lui caressant tendrement la joue. Ne parlons plus de ces moments désagréables. »
Norrington se sentit absurdement heureux, il tenait Elizabeth dans ses bras et celle-ci lui offrait à boire comme à un enfant. Il observait, fasciné, le moindre des mouvements de la jeune femme sans s'étonner une seconde de sa présence en ce lieu. Il était une fois de plus sous le charme de la femme à cause de qui il avait tout perdu.
Il lui sembla qu'ils restèrent des heures ainsi enlacés. Elle lui donnait à boire et lui ne pouvait détacher son regard d'elle. Au bout d'un moment, il s'enhardit jusqu'à se pencher vers elle pour l'embrasser, et contre toute attente elle ne se déroba pas à son étreinte. James posa ses lèvres sur les siennes et recula brusquement. Elle était froide, même plus que cela, glaciale comme si elle était morte. Mu par la terreur il s'écarta d'Elizabeth, et ce faisant constata avec stupeur que le visage de la femme qu'il enlaçait n'était plus celui d'Elizabeth. Cette femme était brune, grande avec de hautes pommettes et des yeux d'un vert plus limpide que tout ce qu'il n'avait jamais vu.
« Qui…qui êtes-vous ? Lui demanda-t-il, au comble de la terreur.
- Voyons tu me connais, je suis Ellen.
- Ellen ? Non je croyais que vous étiez Elizabeth.
- Voyons Edward ne soit pas ridicule, je suis Ellen ta femme, » répondit-elle en riant.
En entendant cela Norrington se sentit devenir complètement fou. Ce nom lui disait quelque chose, mais quoi ? Et pourquoi l’appelait-elle Edward, ce n'était pas son prénom.
« Je m'appelle James, souligna-t-il d'une voix hésitante.
- Mais non tu es Edward et moi je suis ta femme Ellen.
- Ellen comment ? » Demanda Norrington qui voulait être plus sûr de lui.
En effet, même si des zones d'ombres persistaient dans sa mémoire parasitée par les souvenirs de Jones, il était bien sur qu'il s'appelait Norrington et n'avait jamais été marié.
« Ellen Norrington, mon amour, ta femme, allez prépare toi John va t'emmener.
- John, répéta James de plus en plus abasourdi par cette vie qui lui paraissait à la fois si étrangère et si familière.
- Ton frère, mon chéri, tu sais tu dois prendre la mer aujourd'hui… » Lui rappela-t-elle avec un rien d'agacement dans la voix.
Norrington réfléchit intensément, oui il se rappelait de quelque chose comme cela, Ellen, John, George, autant de prénoms qui affleuraient à sa mémoire sans qu'il ait l'impression d'avoir vécu cette vie. Il se tourna vers la jeune femme pour lui demander encore de s'expliquer et se trouva face à Elizabeth. Il fit un bond en arrière en la voyant, il ne pouvant en croire ses yeux.
La jeune femme le regardait avec horreur.
« Elizabeth ? C'est bien vous? Demanda-t-il.
- Oui commodore, cracha-t-elle. Qui voulez-vous donc que ce soit ?
- Je ne sais pas, je ne comprends plus, je deviens fou.
- Oh taisez-vous donc je suis venu vous dire de cesser de penser à moi, je ne vous aime pas, au contraire je vous déteste.
- Mais Elizabeth … Intervint James qui ne comprenait plus rien à ce qui l'entourait.
- Vous avez compris ! Laissez-moi en paix ! » Dit-elle avant de s'en aller à toute allure.
James laissa retomber sa main dans le vide, il n'y avait personne, absolument personne avec lui. Tout cela était un rêve. Le désespoir l'envahit. Il reprit un peu d'alcool pour tenter de retrouver la raison puis s'agenouilla ensuite et hurla comme il ne l'avait jamais fait auparavant dans l’espoir que quelqu'un viendrait le tirer de cet endroit.
« ELIZABETH ! »
Puis, comme il n'avait pas de réponse, un autre prénom s'imposa à lui. Le nom d'une femme qui l'avait quitté pour un autre comme l'avait fait Elizabeth. Mais était-ce bien lui qu'elle avait quitté ? Peu importe, il en ressentait la douleur cuisante et c'est celle-ci que le conduisit à répéter son prénom comme une litanie jusqu'à ce qu'il s'évanouisse.
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A bord du Hollandais Volant, Davy Jones eut un sursaut de surprise en entendant son prisonnier hurler le prénom d'Ellen. Il étouffa un sourire, pas le moins du monde inquiet. Il se dit juste que la coïncidence était amusante que la femme de son captif porte justement le même prénom que celle qui l'avait, lui, conduit ici. Trouvant la chose décidément ironiquement amusante, Jones se promit d'aller rendre visite à son curieux pensionnaire… un peu plus tard.
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