Trois mois après le départ des Dove pour les Indes, Elizabeth et son père embarquaient sur le Dauntless au grand ravissement de la petite fille qui avait adjoint à ses bagages les livres de pirates qu’elle avait accumulés au cours des ans y compris les emprunts faits dans les bibliothèques des amis de son père sur lesquels Miss Asst l’avait tellement sermonnée quelques années plus tôt.
Courant un peu partout sur le pont dans une attitude que Mrs Brode aurait trouvée fort peu convenable, Elizabeth n’arrivait toujours pas à croire que dans quelques minutes elle et son père quitteraient l’Angleterre pour peut-être ne plus jamais y revenir. Elle avait été la première surprise lorsque, interrompant les leçons de Melle Woods, Weatherby était venu lui annoncer sa nomination au poste de Gouverneur de Port Royal et leur départ pour la ville des lointaines Caraïbes. Les Caraïbes. Cet endroit que l’on disait être le berceau de la piraterie et que même Jemina, la fille de cuisine, connaissait pour cela. Même dans ses rêves les plus fous, la petite Elizabeth n’aurait jamais imaginé avoir un jour l’occasion de s’y rendre et voilà qu’elle allait y habiter !
Elle jeta un coup d’œil ravi à Melle Woods, qui, mal à l’aise en raison du tangage du navire avait bien du mal à la suivre.
« Allons cessez de courir ainsi Miss Elizabeth ! S’exclama la préceptrice, blanche de peur à l’idée du voyage qui les attendait mais peu désireuse d’abandonner les gages que Weatherby lui offrait pour les accompagner.
- N’est-ce pas merveilleux de pouvoir ainsi voyager sur un vrai navire ! Répondit Elizabeth sans toutefois se tenir tranquille.
- Je n’y vois là que de l’ennui. Répondit Melle Woods, qui, comme Mrs Brode qui s’était fermement refusé à partir préférant rester à Londres pour y continuer à tenir la maison des Swann, déplorait ce départ hâtif et irréfléchi.
- Oh non c’est merveilleux de partir ainsi ! S’exclama Elizabeth, toute à sa joie. Et qui sait peut être rencontrerons nous de vrais pirates. Ajouta-t-elle à voix basse. »
Pas assez basse toutefois pour échapper à l’oreille vigilante de Mlle Woods dont la pâleur s’accentua à cette idée.
Elizabeth n’en tint pas compte et le cœur gonflé de fierté et de joie posa son regard sur son père qui semblait en pleine discussion avec le jeune Lieutenant Norrington qui allait les accompagner et assurer leur sécurité tout au long de ce voyage. Weatherby, loin de partager l’exultation de sa fille, maintenait un mouchoir parfumé devant son visage, incommodé par les odeurs de poissons, de vivres et de sueurs mêlées qui régnaient dans le port de Plymouth qu’ils avaient jadis visité ensemble. En vérité, le bon Gouverneur nouvellement nommé commençait à regretter le mouvement de fierté irréfléchi qui l’avait poussé à montrer un intérêt pour la charge de Gouverneur au lendemain de la dernière visite de ses beaux-parents.
La charge était certes prestigieuse, mais Weatherby commençait tout juste à réaliser qu’un voyage en mer et une vie aussi loin de sa si chère patrie n’était peut-être pas une si bonne idée qu’il l’avait cru de prime abord. Du reste le discours enflammé du jeune Norrington sur la racaille piratesque peuplant les mers des Caraïbes finit de le faire regretter sa décision. Il jeta un regard inquiet en direction de sa fille et réalisa qu’elle commençait à ressembler à une vraie jeune fille. Il s’interrogea un instant sur l’avenir qu’il pourrait lui offrir, loin de la Cour et loin des amis qu’ils avaient toujours connus. Du moins s’ils parvenaient jusqu’à Port Royal, ce qui au vu des récits imagés du jeune Lieutenant Norrington lui paraissait de plus en plus improbable.
Elizabeth, se détacha de sa préceptrice qui verdissait à mesure qu’elle réalisait que non, elle n’avait pas le pied marin, courut vers son père et se glissa entre les deux hommes, posant un regard ravi sur ce qui l’entourait.
« Alors Elizabeth… Ne vas-tu pas regretter ta chambre et tes amis londoniens ? Lui demanda Weatherby espérant à demi une réponse positive de sa fille.
- Oh non papa, au contraire, je trouve ça si exci, intéressant de naviguer ! Répondit Elizabeth se reprenant par habitude.
- Si cela vous amuse, je pourrais vous montrer comment manœuvrer ce navire Mlle Swann. Lui proposa avec un brin de condescendance le Lieutenant Norrington. Du moins si votre père n’y voit pas d’objections.
- Oh papa ! Dis oui ! » S’exclama Elizabeth.
Weatherby soupira légèrement en percevant l’excitation dans la voix de sa fille.
« Et bien si le Lieutenant Norrington te le propose … Je suis d’accord du moins tant que tu ne le gênes pas dans les manœuvres de ce navire. »
James Norrington eut un mince sourire et s’inclina légèrement en direction du Gouverneur. Il songea qu’il ne craignait pas grand-chose en s’engageant ainsi, prévoyant que la rigueur de la vie en mer et les remous de l’océan auraient tôt fait de décourager les ardeurs de la jeune Lady. Elizabeth lança un regard ravi au Lieutenant et se tourna vers lui.
« Pourquoi n’avons-nous pas encore cargué les voiles ? Demanda Elizabeth en observant les mats encore nus. Il me semblait que nous partions dans quelques minutes. »
Norrington eut un mouvement de surprise tandis que le Gouverneur regardait sa fille avec incompréhension, ne comprenant pas un traître mot de sa question.
« Et bien nous allons le faire… Répondit James un peu décontenancé. Si vous permettez Mlle, Gouverneur… »
Le lieutenant s’éloigna, criant des ordres aux matelots et autres officiers tandis qu’Elizabeth glissait sa main dans celle de son père.
« Tu es heureuse ? Demanda Weatherby à sa fille, sachant d’avance la réponse qu’elle lui donnerait.
- Oh oui papa ! S’exclama Elizabeth avec feu, brusquement emplie de reconnaissance envers ce Roi, qui, après l’avoir privée de son père durant tellement d’années, leur permettait à présent d’entamer ce voyage dont elle avait tellement rêvé.
- C’est-ce que j’avais cru comprendre. » Répondit Weatherby, mi-figue mi-raisin.
Quelques instants plus tard, le Lieutenant Norrington se matérialisa aux côtés du père et de la fille et toussota brièvement pour signaler sa présence.
« Les voiles sont en place. Annonça-t-il avec raideur. Nous allons pouvoir partir… Gouverneur ? »
Weatherby soupira et réalisa que l’homme attendait visiblement son autorisation pour lever l’ancre.
« Et bien soit allons y. » Se résigna-t-il.
Tandis que le Dauntless s’éloignait lentement des côtes anglaises, Weatherby écrasa fugacement une larme pour ce pays qu’il quittait pour mieux le servir. A ses côtés, inconsciente de la brusque nostalgie qui venait de saisir son père et des gémissements peu gracieux de Melle Woods qui se penchait au bastingage pour évacuer son mal de mer, Elizabeth posa un regard brillant sur l’horizon. La petite fille n’était que joie alors qu’elle emplissait ses poumons de l’air iodé de la mer. Elle avait l’impression que ce voyage était le début d’une nouvelle vie, une existence loin de Londres et de la Cour pesante dans laquelle elle aurait dû faire son entrée dans quelques années. Elizabeth se sourit à elle-même et songea qu’à quelques miles d’elle naviguaient peut être des pirates. Il lui semblait déjà être plus libre et la petite fille rit joyeusement en sentant la brise fouetter son visage, faisant s’envoler les sages anglaises qui entouraient son visage tandis que Weatherby retenait sa perruque avec un glapissement. A ce bruit, Elizabeth se retourna brièvement vers son père avant de reposer son regard sur cet océan qui l’attirait irrépressiblement et qui lui donnait l’impression de s’envoler vers une nouvelle vie. Une vie sans contrainte, cela allait de soi !
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