Cela faisait déjà plusieurs jours que le Black Pearl avait pris la mer sous le commandement du capitaine Sparrow et jusqu'à présent les éléments avaient été cléments avec le jeune homme : l'océan restait d'un calme presque surnaturel. Jack, son tricorne de capitaine soigneusement vissé sur la tête, jeta un bref coup d'œil sur le drapeau orné d'une tête de mort et d'un oiseau rouge sang volant vers l'horizon qu'il s'était choisi comme étendard et qui attendait une occasion de servir.
Hector Barbossa l'observait avec attention. Il cherchait à discerner si le côté fantasque du jeune capitaine qui l'énervait tant était dû à une stupidité sans bornes ou à une hallucinante insouciance. Barbossa eut un sourire méchant pour le jeune homme alors qu'il songeait que l'un et l'autre étaient de toute manière hautement néfaste pour les affaires de piraterie et qu'un si beau navire méritait un capitaine digne de ce nom. Un capitaine qui fera de lui le navire le plus redouté du monde marin, un capitaine comme lui, Hector Barbossa !
A quelques pas de lui, inconscient des pensées qui commençaient à prendre forme dans l'esprit de son second, Jack souriait avec nonchalance et savourait tout simplement le bonheur d'être capitaine de son propre navire. Il finit par se tourner vers son second.
« N'est-ce pas que le Pearl est le meilleur navire des Caraïbes ? »
Le vieux marin retint de justesse un soupir exaspéré devant la fierté naïve de Jack et se tournait vers lui avec un air faussement gracieux lorsque Pintel interrompit leur conversation.
« Capitaine ! Un navire droit devant ! »
Jack s'empara de la longue vue d'une main ferme et eut un sourire carnassier en reconnaissant les couleurs de la Compagnie des Indes qui l'avait si cruellement rejeté. Enfin il tenait une occasion de leur montrer qui il était et ce qu'ils avaient fait de lui. Ce que Cutler Beckett avait fait de lui. Il tendit la longue vue à Hector avec désinvolture tout en aboyant ses ordres.
« Hissez nos couleurs ! Nous partons à l'abordage ! »
Les marins s'entre regardèrent et en un instant ce fut le branle-bas de combat. Pintel et Ragetti, deux fraîches recrues qui semblaient inséparables, manquèrent de s'étaler au sol en voulant rejoindre leur poste de canonniers. Jack, quand à lui, ne quittait pas le navire des yeux, tandis que sur son étendard le moineau se détachait comme une tache sanglante.
Barbossa baissa sa longue vue et croqua négligemment une pomme. Il posa un œil de connaisseur sur le navire lourdement chargé.
« Il revient sûrement d'Afrique. Si c'est le cas ses cales sont chargées d'or noir rien d'utile pour nous. » Grimaça Hector.
Jack leva un sourcil interrogateur qui finit d'énerver Hector lequel se fit un devoir de préciser d'un ton las.
« L'esclavage est la nouvelle manne financière de la Compagnie. Le commerce de chair fraîche rapporte plus que celui des soieries, toi qui a travaillé pour eux tu devrais savoir ça.
Jack se raidit, profondément écœuré par les propos de son second.
« Je n'ai jamais transporté d'esclaves. Déclara-t-il d'un ton glacial. Personne ne devrait être privé de liberté.
- Et bien de toute manière ça n'est pas notre problème, tirons dans le tas, coulons le navire et ramassons ce qui peut l'être sur les cadavres. Hissez le pavillon rouge !
- NON ! »
La voix sèche et autoritaire de Jack claqua dans l'air, suspendant le geste du marin qui s'apprêtait à obéir au second.
« Nous allons aborder ce navire et le piller mais il est inutile de sacrifier des vies humaines pour cela. » Déclara plus calmement Jack qui avait gardé un mauvais souvenir des massacres perpétrés par Sao Feng.
Barbossa eut une moue méprisante et gardant la réflexion qui lui venait pour plus tard, quand il serait seul avec les hommes.
« Comme vous voulez Capitaine… »
L'abordage fut une réussite même si la valeur marchande du butin était moindre. Comme Hector l'avait prévu, les cales s'avérèrent remplies d'hommes et de femmes apeurés que l'on avait arrachés à leurs maisons, dévastant par la même occasion tout ce qu'ils avaient pu construire pour les fourrer dans les cales sombres d'un navire. Barbossa s'approcha silencieusement de Jack et contempla d'un air ironique la marée de visages sombres et apeurés qui se tenait devant eux.
« Et maintenant Capitaine ? Que faisons-nous ? »
Jack se tourna vers lui, encore chamboulé devant ces hommes et ses femmes qui avaient vus leur vie détruite par la Compagnie des Indes qui les avait condamné à être esclaves tout comme elle l'avait condamné à devenir pirate. Tremblant de rage et d'émotion mal contenue, il se tourna vers son second.
« Je vais te le dire mon ami. »
Jack reprit d'une voix forte à l'intention des hommes libres.
« Vous tous ! Nous ne vous ferons aucun mal. Ceux qui veulent rester sur le Black Pearl le peuvent, pour les autres, je connais un endroit non loin d'ici où ils pourront vivre en toute sécurité. »
Les esclaves se concertèrent un long moment, échangeant leur point de vue dans une langue à la musicalité inconnue à Jack puis, finalement, après un temps qui parut exagérément long à Barbossa, un colosse s'extirpa de la foule et avança vers Jack.
« On veut bien Cap'tain. L'endroit que vous dites. »
Jack lui sourit sans se rendre compte du malaise qui se répandait dans son équipage, chaque pirate échangeait un regard avec les autres. La même pensée, informulée, flottait dans l'air : pourquoi on devrait risquer nos vies pour délivrer des esclaves qui ne nous rapporterons rien ? Barbossa, derrière Jack, observait les visages et sourit avec satisfaction en voyant s'installer le mécontentement dont il savait déjà exactement comment en tirer parti.
Bien loin de se douter des mauvaises intentions de son second, Jack mena les esclaves libérés jusqu'à l'embouchure du fleuve le long duquel vivait Tia. Il savait que la sorcière leur ferait bon accueil et c'était la seule personne en qui il ait suffisamment confiance pour aider les rescapés à se construire une nouvelle existence, tout comme elle l'avait aidé lui.
Le troisième jour de leur voyage, Hector Barbossa pénétra dans la cabine de Jack et observa d'un air curieux les cartes sur lesquelles Jack avait établi la route menant à l'île de la Muerta avec son compas. Sans dire mot, il s'assit devant Jack et mordit à pleines dents dans une pomme avant de la mâcher bruyamment. Au bout d'un moment Jack, agacé, s'adressa à lui.
« Il y a un problème Hector ? »
Barbossa prit l'air embêté avant de se décider à répondre.
« En fait oui, comme les gars, je sais qu'on cherche un fabuleux trésor aztèque bien sur. Mais ils me demandent souvent quel cap nous devons emprunter pour arriver à destination et je ne peux pas leur répondre. Ça nuit à ma crédibilité de second et ça n'est pas l'usage. » Répondit Barbossa en ponctuant son discours d'un sourire onctueux.
Jack le dévisagea attentivement et rassembla ses souvenirs de l’époque où le Capitaine Linley l'avait choisi comme second. Il se revit, quelques années plus tôt, un peu embarrassé mais écoutant avec passion avant de suivre les routes tracées sur les cartes maritimes, puis à la barre… Effectivement, son second devait connaître ce genre de détails. Il fit signe à Barbossa d'approcher et se mit en devoir des lui dévoiler l'itinéraire précis que son compas lui avait permis d'établir. Barbossa écouta attentivement, avec, perché sur son épaule, le petit singe qu'ils avaient trouvés avec les esclaves africains et pour lequel le second semblait s'être singulièrement pris d'affection.
« Voilà tu en sais autant que moi à présent. Conclut Jack en avançant la main pour flatter le petit animal qui lui cracha hargneusement dessus avant de détaler. Il ne m'aime pas beaucoup. Constata Jack avec une pointe de dépit. Tu ne lui as pas donné de nom ?
- Pas encore Jack. » Répondit Barbossa avec un vague sourire aux lèvres avant de sortir à la suite du petit animal.
Il faisait nuit noire lorsque des mains avides et hargneuses saisirent Jack. Elles le tirèrent hors du sommeil et de son lit, sans prêter attention à ses protestations. Abasourdi, le jeune capitaine eut à peine de récupérer son précieux compas avant de se retrouver projeté sur le pont de son navire. Subtilement encadré par deux des colosses qu'Hector avaient recrutés à Tortuga, Jack se retrouva face à l'équipage qui le dévisageait d'un air hostile. Il déglutit péniblement avant de prendre la parole et affecta un ton léger tandis qu'il lui semblait que son cœur était broyé dans un étau de glace.
« Je peux savoir ce qui se passe les amis ? »
Son sourire trembla un peu plus lorsqu'il vit son second fendre les hommes amassés sur le pont et son angoisse redoubla en constatant que ses hommes, ses hommes à lui, s'écartaient devant Barbossa. Ce dernier le dévisagea d'un air aimable.
« Jack, Jack, Jack… Vois-tu, les hommes et moi on a longuement réfléchi. Et aucun d'entre nous n'a envie de risquer sa vie pour délivrer des esclaves, seules les espèces sonnantes et trébuchantes nous intéressent.
Jack pâlit sous son hâle et d'une voix qui tremblait un peu, sachant déjà au fond de lui ce qui allait se produire.
« Mais… »
Barbossa ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.
« Donc, nous avons conclu que le Black Pearl méritait d'avoir un vrai Capitaine. Quelqu'un qui n'hésitera pas à s'occuper des intérêts de son équipage.
- Quelqu'un dans ton genre peut être ? » Grinça Jack.
Barbossa secoua la tête avec un faux air désolé.
« Vois-tu Jack tu as trop bon cœur pour commander un équipage de pirates. » Lui dit-il d'un ton empli de feints regrets.
Hector s'approcha de lui et posa sa main sur l'épaule pour le forcer à se retourner vers un minuscule point sombre que laissaient entrevoir les rayons lunaires et reprit d'une voix presque douce.
« Mais nous t'avons trouvé un nouveau poste plus à ta hauteur. Gouverneur ! Déclara-t-il avec emphase en lui désignant le minuscule îlot. Tu vois cette île ? Il parait que les tortues de mer attendent qu'un vrai chef vienne les diriger. Un poste tout à fait dans tes compétences. Se moqua-t-il
- Non merci, je préfère le Black Pearl. » Tenta Jack crânement, lisant sa défaite dans les regards fuyants de l'équipage.
Le visage de Barbossa se durcit tandis que son étreinte se resserrait sur l'épaule de Jack et maintenait fermement le jeune homme.
« Je crains fort que ce choix ne te soit pas offert. Mais j'ai moi aussi du cœur je vais te le prouver en te laissant un pistolet chargé d'une unique balle afin que tu puisses en finir le moment venu. » Ricana Barbossa, bientôt imité par le restant de l'équipage.
Jack, la mort dans l'âme regarda autour de lui, il ne rencontra que des visages moqueurs et hostiles exception faite de celui de Bill Turner. Lorsque leurs regards se croisèrent, Jack lut le regret et la résignation dans ceux de son plus ancien complice. Les dents serrées Jack se rendit à l'évidence et escalada le bastingage de son bien aimé Pearl puis regarda Barbossa.
« Cette balle sera pour toi sale traître. Je le jure, même si ça doit me prendre dix ans, je te retrouverais Hector. »
Pour toute réponse, Hector éclata d'un rire méprisant et lança le pistolet à la mer.
« Plonge maintenant, tes sujets t'attendent. » Exigea-t-il d'un ton menaçant.
Jack lui lança un dernier regard haineux et plongea.
« Je tiens toujours mes promesses Hector. »
Pour toute réponse, le second mutin éclata de rire et s'adressa à l'équipage.
« Vous tous, souvenez vous de ce jour comme de celui où nous avons débarrassé le Black Pearl du Capitaine Jack Sparrow ! »
Un sourire satisfait sur les lèvres en entendant les rires moqueurs de l'équipage, Barbossa s'empara vivement de la barre et reprit d'un ton de commandement.
« Allez tas de chiens ! En route pour le trésor de la Muerta ! » Dit-il sans un regard pour celui qu'ils laissaient en arrière.
Sur son épaule, le petit singe poussa un cri aigu signifiant son accord tandis que, seul parmi l'équipage, Bill Turner gardait un œil vers l'horizon et fixait le petit point sombre qui progressait vers l'îlot au large duquel ils avaient mouillés.
« Ce n'est pas juste Jack. » Murmura-t-il avant d'obéir à regret au nouveau capitaine du Black Pearl.
Écrire commentaire