Elle avait senti le changement dès qu'ils étaient arrivés dans les eaux sombres de l'autre bout du monde, là où allaient les âmes des malheureux morts en mer, celles que son époux avait la charge de guider. Ici, les vagues ne faisaient pas de bruit en s'écrasant sur la coque, les cheveux n'étaient pas soulevés par le vent. Dans le monde des morts, tout était d'un calme sinistre et la mer qu'elle réussissait à apercevoir depuis sa fenêtre improvisée était d'une noirceur d'encre.
Elizabeth, le visage tuméfié, se recroquevilla dans un coin de sa cellule, tremblante de froid et de peur. Elle avait affronté Beckett, combattu les monstres de Jones et les morts vivants de Barbossa mais aucun de ces ennemis ne l'avait jamais terrifiée comme elle l'était maintenant. Avant, elle connaissait son adversaire mais cette fois, elle se battait contre un ennemi invisible dont la cruauté dépassait tout ce qu'elle avait connu.
Quelques heures ou peut-être quelques jours plus tôt, Jack ou plutôt la créature qui ressemblait à Jack, était venu dans sa cellule. Ses yeux bleus brillaient d'une rage sourde, à peine contenue. Il l'avait sommée de lui dire où se trouvaient Will et le Hollandais Volant. Il lui avait jeté son compas à la figure mais elle avait secoué la tête, ne voulant pas lui donner la réponse qu'il attendait. Alors il l'avait frappée et fait pleuvoir les coups sur son visage et son corps sans lui laisser la moindre possibilité de se défendre. Puis, une fois que la rage avait désertée son regard d'acier, il l'avait laissée sur le sol, ensanglantée et pleurant comme elle ne l'avait pas fait depuis la mort de son père.
A présent, les yeux grands ouverts dans l'obscurité, Elizabeth attendait, cherchant du regard quelque chose qui lui permettrait de se défendre lorsqu'il reviendrait. Car elle ne doutait pas qu'il reviendrait.
« Mon dieu Will. Je t'en prie reste loin d'ici, reste loin d'ici. » Murmura-t-elle, percluse de douleur.
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Les ténèbres, le silence que seuls les sanglots déchirants de Jack, enfin un des autres Jack, brisaient.
Le capitaine n'en pouvait plus. Il avait écouté des heures durant les jérémiades des autres, s'était vu se dandiner comme un vulgaire poulet et pire que tout n'avait pas trouvé d'idée qui lui permettrait de sortir. Son cœur battait très fort dans sa poitrine depuis que, quelques heures plus tôt, les autres, ceux qui comme lui étaient dotés de raison s'étaient tus.
Ils avaient entendus les cris d'Elizabeth et brutalement tous s'étaient tus. Ils avaient baissé les yeux, évitant soigneusement de regarder dans sa direction tandis que le pleurnicheur se mettait à trembler puis se levait brutalement avant de rasseoir avec un air désespéré. Jack aussi avait entendu la souffrance de la jeune femme et avait découvert à sa grande surprise que ses propres joues étaient humides de larmes, comme celles de celui qu'ils méprisaient tous. Depuis cet incident, les autres évitaient son regard, hormis un seul qui le fixait avec ironie depuis plusieurs minutes.
« Quelque chose à dire l'ami ? » Se décida Jack.
Un sourire cruel, malveillant, éclaira les traits de l'autre et il s'étira avec nonchalance.
« Non. Je me demandais juste si cette loque stupide mourrait en même temps qu'elle. Dit-il en désignant celui qu'ils haïssaient tous unanimement. Peut-être qu'après nous pourrons enfin reprendre nos habitudes. Prendre tout ce qu'on peut, ne rien laisser, être un pirate. »
Un Jack qui n'en était manifestement pas à sa première bouteille de rhum, s'approcha de celui qui venait de parler d'une démarche chancelante.
« Nan, je crois que, que tu fais erreur l'ami. Commença-t-il, prêt à s'écrouler sur le sol. Ça nous sauvera pas, en fait j'crois que ça nous tuera tous. Même lui. Expliqua-t-il avec difficulté en désignant Jack qui blêmit.
- Pas moi ! Personne ne peut me vaincre, l'immortel Capitaine Jack Sparrow ! Fanfaronna le premier.
- Ah oui ? Pourtant toi aussi tu as abandonné l'immortalité à cause de ses larmes.
- Et vois où ça nous a mené ! Si on m'avait écouté plutôt que cette lavette on en serait pas là mais à la barre du Hollandais Volant, les cheveux dans le vent, sur les flots pour l'éternité. » S'énerva-t-il.
Le Jack épris du grand large hocha vigoureusement la tête mais à la grande surprise de Jack celui qui pleurait releva la tête, les yeux brillants de colère et prit la parole d'une voix tremblante.
« Libres ? Tu crois vraiment qu'être enchaînés à ce navire nous aurait donné la liberté ?
- C'est vrai qu'en matière d'enchaînement à un navire c'est toi l'expert. » Railla le Jack cynique.
Jack sourit en l'entendant et murmura doucement.
« Ça en valait la peine … »
Aucun des autres ne l'entendit et ils reprirent le bourdonnement incessant de leurs disputes tandis que le Jack amoureux rougissait violemment avant de se remettre à pleurer. Jack poussa un soupir atterré en les regardant s'affronter. Il caressa un instant l'idée de tenter de consoler celui qui pleurait avant de soupirer avec résignation et évita de le regarder. L'autre était inconsolable, il le savait bien tout comme il savait que c'était la raison pour laquelle il était ici, la faiblesse qui avait permis à Jones de prendre possession de lui. Jack ferma les yeux et fredonna inconsciemment la chanson qu'il aimait tant.
« Yoho nous sommes les pirates, les forbans… Des maudits pirates… »
Il secoua la tête, soulagé de voir qu'aucun ne l'avait entendu, tous trop occupés à se disputer. La cacophonie de leurs voix emplissait l'espace et Jack s'éloigna un peu pour s'asseoir à l'écart, la tête entre les mains.
« Trouver une solution pour sortir d'ici. Marmonna-t-il
- Des gonds à demi-cylindre ? Suggéra l'un de ceux qui se trouvaient à proximité
- Oh la ferme… » Répondit Jack d'un ton agacé avant de leur tourner le dos dans l'espoir dérisoire de les faire partir mais sachant au fond de lui que cela était impossible.
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Calypso frissonna en sortant de leur cabine, écœurée de sentir la caresse glacée du vent de l'au-delà sur sa peau. Elle coula un regard vers la silhouette de Jack, et hésita longuement avant de se décider à l'approcher à contre cœur, un vague sourire qui peinait à dissimuler son inquiétude aux lèvres.
« Nous trouverons bientôt le Hollandais Volant. Comment comptes-tu attirer Will sur le Pearl ? »
Jack se retourna et arbora un sourire vicieux.
« Par le moyen le plus simple qu'il soit, l'amour… »Ricana-t-il.
Calypso posa la main sur son bras et fit mine de s'inquiéter pour lui.
« Il te tuera lorsqu'il découvrira ce que tu as fait à Elizabeth. Et je te rappelle que la carcasse de Jack n'est pas immortelle. Renonce avant qu'il ne soit trop tard, je t'en prie ! On a pas besoin de ce navire ! »
Jack la regarda d'un air moqueur.
« Oh, pourtant, c'est toi qui disait que tu n'appartiendrais qu'au capitaine de ce navire. Et vois-tu moi je tiens mes engagements. Ricana-t-il. Et j'ai pris celui de semer la terreur sur les mers sauf que maintenant j'ai un cœur à t'offrir et que cette fois tu ne me laisseras pas, tu viendras avec moi.
- Je viendrais avec toi quoiqu'il arrive. Renonce au Hollandais Volant.
- RENONCER ! Ce mot ne fait plus partie de mon vocabulaire Calypso. J'ai du « renoncer » à tant de choses depuis toutes ces années, depuis les premiers dix ans. Alors j'ai chassé le renoncement de ma vie. » Déclara-t-il avant de s'éloigner, hurlant ses ordres.
Songeuse, la tristesse au cœur, Calypso le regarda s'éloigner.
« Oui. Murmura-t-elle. Tu l'as chassé tout comme la bonté, le sens du devoir et de l'honneur. Tout ce qui faisait de toi un homme. Peu importe tous les artifices auxquels tu auras recours, tu n'as plus de cœur à m'offrir Davy Jones. Tu n'as plus rien de commun avec celui que j'aimais. »
Un cri de victoire brisa ses réflexions et elle baissa la tête, emplie de regrets. Ils avaient trouvé le Hollandais Volant et une fois de plus un destin plus fort qu'eux allait guider leurs vies.
« Sauf que rien ne m'empêche d'aider un peu le destin. Murmura-t-elle pour elle-même en reculant dans l'ombre de la cabine. Le tout est d'attendre le bon moment … »
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Will écarquilla les yeux, stupéfait de voir un autre navire dans ces eaux sombres et encore plus de voir qu'il s'agissait du Black Pearl. Son esprit travailla à toute vitesse, cherchant à deviner ce que Jack Sparrow faisait ici et il fit signe à son père de manœuvrer pour s'approcher du navire.
« Jack ? »
Sur le pont, Jack se tourna vers lui et prit l'air inquiet.
« Will ! Enfin je te trouve ! Je, c'est Elizabeth. »
Le visage de Will se décomposa et il fixa Jack d'un air désespéré.
« Elizabeth ? Mais quoi ? Que se passe-t-il?
- Will, mon gars. Je suis désolé mais j'ai trouvé Lizzie mal en point, malade, alors je l'ai mise en bas et je me suis dit que peut être en te l'amenant … »
Will ne réfléchissait plus, d'un geste impulsif il se tourna vers son père.
« Garde le navire, conduit les âmes. Je reviens.
- N'oublie pas Will, ne quitte pas ce monde. » Le prévint Bill, inquiet.
Sans l'écouter Will atterrit souplement sur le pont du Black Pearl, l'angoisse dévorant son visage. La tête baissée, Jack reprit.
« Je l'ai ramenée ici, je me suis dit que tu voudrais la voir, au cas où … »
Will blêmit.
« Je dois la voir, où est elle ? »
Jack hocha la tête en signe de compréhension.
« Bien sûr, elle est en bas … »
Will n'attendit pas et s'engagea dans les escaliers et disparut de la vue de son père. Il descendit lestement les marches, suivi par Jack avant de réaliser qu'il allait vers le cachot. Derrière lui, Jack sourit. Décidément l'amour était bien ce qui mène tout les hommes à leur perte. Will se retourna et songea fugacement que le regard de Jack étrange mais il était trop inquiet pour Elizabeth pour s'y attarder.
« Jack pou… »
Il n'eut pas le temps de finir, l'autre lui balança un violent coup sur la tempe et le regarda s'écrouler avec un sourire mauvais tandis que le corps inanimé de Will roulait dans les escaliers et s'écrasait plus bas.
« Tu croyais quand même pas que j'allais te porter ? » Ironisa-t-il en arrivant près de Will.
Dans sa cellule, alertée par le bruit, Elizabeth se leva et réprima un cri en voyant Jack traîner le corps inanimé de Will.
« Will ! Non ! Que lui avez-vous fait ? »
Jack lui sourit avec cruauté.
« Rassure toi je ne l'ai pas tué, pour l'instant … » Ricana-t-il avant de déverrouiller la cellule.
Il projeta Will toujours inanimé à l'intérieur et refermera la porte. Les yeux remplis de larmes, Elizabeth s'accroupit à coté de son mari inanimé et caressa sont front, l'air catastrophé.
« Pourquoi, pourquoi une telle cruauté ?
- On m'a dit une fois que la cruauté n'était qu'une affaire de perspective. » Ricana Jack en s'éloignant sans plus leur prêter d'attention.
Le sourire aux lèvres, il gravit pesamment l'escalier. Il aurait pu se procurer la clef dès maintenant mais il n'en avait pas envie. Sa soif de vengeance et de souffrance n'était pas assouvie. Avant de les tuer il avait envie de les faire souffrir, de les torturer, de les mettre face à des choix qu'ils ne pourraient pas faire mais qui finiraient par avoir raison d'eux, de leur amour écœurant à eux tous. Il les ferait souffrir tous les trois. D'abord il tuerait Turner puis la fille et enfin, l'âme du pirate.
Il se dirigea vers le bastingage et héla Bill, prenant garde à rester dans l'ombre.
« Will reste ici auprès d'Elizabeth, il te demande de guider ces âmes qui attendent et de revenir ensuite. »
Bill, un peu perdu, le regarda.
« Pourquoi ne vient-il pas me le dire lui-même ?
- Elle est blessée et il veut rester près d'elle. Ces deux-là ont beaucoup à se dire. Dit-il avec cynisme. Alors Bill ?Peut-il compter sur ton aide ou vas-tu l'abandonner ? »
A sa grande satisfaction le visage de Bill se décomposa, signe de la culpabilité qu'il ressentait toujours pour avoir abandonné Will durant son enfance et le Bottier hocha la tête.
« D'accord, dit à Will qu'il peut compter sur moi
- Je le ferais Bill. Fais-moi confiance… »
Il regarda avec un plaisir intense le Hollandais Volant s'éloigner tandis que Calypso se décidait à sortir de l'ombre et à s'approcher de lui.
« Tu crois vraiment que tout sera aussi simple ? »
Il posa son regard froid sur elle.
« Bien sûr, nul ne peut vaincre le démon. Tu ne le sais pas depuis le temps ? »
Calypso le regarda avec tristesse tandis qu'il décrochait la chaîne qu'il portait au cou pour en retirer la bague qu'il avait récupérée dans la grotte.
« J'ai attendu des siècles avant de te la donner. Je voulais te l’offrir le jour de nos retrouvailles, celui où tu n'étais pas là. » Dit-il avec une pointe d'amertume.
La gorge serrée Calypso s'approcha de lui et caressa sa joue.
« Même sans le Hollandais Volant nous pouvons être ensemble, ton âme réunie à la mienne Davy. »
Il se raidit à son contact et s'éloigna, laissant la bague posée sur le bastingage.
« Et où cela Calypso ? Dans les abysses de la mort ?
- A quoi ça te servira de commander à nouveau le Hollandais Volant ? »
Il se retourna et lui sourit vicieusement.
« Devine … »Dit-il avant de s'éloigner.
Calypso baissa la tête pour dissimuler ses larmes. Non, il n'avait plus rien de commun avec celui qu'elle avait aimé. Songea-t-elle tandis qu'un brusque roulis faisait glisser par-dessus bord la bague restée posée sur le bastingage. Les flots sombres l’engloutirent immédiatement.
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Will reprit lentement ses sens malgré la violente douleur qui lui vrillait le crâne. Il soupira en sentant la caresse d'une main chaude et vivante sur son front, une sensation qu'il n'avait pas connue depuis son départ sur le Hollandais Volant. Il ouvrit lentement les yeux et sourit avec incrédulité en découvrant le visage d'Elizabeth penché sur lui. La jeune femme lui sourit avec douceur
« Will… »
Oubliant la douleur, il se redressa d'un coup et la serra farouchement contre lui, sa bouche s'écrasant sur la sienne dans le baiser dont il rêvait depuis des mois. Un instant ils oublièrent où ils étaient et la situation dans laquelle ils se retrouvaient, goûtant le bonheur de se retrouver enfin, puis Will s'écarta à regret.
Les yeux dans ceux de sa femme, ne parvenant pas encore tout à fait à croire qu'elle était vraiment là, il effleura du bout des doigts les marques de coups qui marbraient son visage.
« Est-ce que c'est lui qui t'a fait ça ? Gronda-t-il. Est-ce que c'est Jack ? »
Elizabeth grimaça à son contact et souffla.
« Oui, mais Will …
- Il n'a aucune excuse pour te faire ça ! »
Elizabeth, le visage noyé par le chagrin, embrassa doucement sa paume, cherchant à le calmer.
« Will, ce n'est pas vraiment Jack. Il, cet homme, il est différent, je crois, je crois que c'est… Enfin que Jack est possédé …
- Elizabeth, Jack est un menteur… Nous le savons tout les deux et une telle possession enfin, c'est impossible !
- Si ! Je, ses yeux, ils sont différents si, bleus … »
Will fronça les sourcils, cherchant à se rappeler, avant d'hocher lentement la tête.
« C'est vrai, on dirait ceux de… Davy Jones ? »
Elizabeth le regarda avec stupeur avant de laisser parler son inquiétude.
« Oh Will… Tu n'aurais pas du venir !
- Comment aurais-je pu te laisser ? Demanda-t-il tendrement. Pour le meilleur et pour le pire tu te rappelles ? »
Elle soupira et glissa sa main dans la sienne.
« Et je crois que cette fois le pire est arrivé. » Répondit-elle d’une voix funèbre.
Il ricana avant de s'avancer près de ceux qu'il observait déjà depuis plusieurs minutes, savourant leur peur et leur incertitude.
« Quelle brillante déduction… » Dit-il avec ironie.
Les deux époux se levèrent d'un même mouvement tandis que Will se plaçait instinctivement devant Elizabeth.
« Libère Elizabeth ! »
Jack ricana.
« Tu veux que je libère cette sorcière ? Et que serais tu prêt à m'offrir en échange ? »
Will chercha son épée et grimaça en constatant que l'autre lui avait enlevée.
« Que veux-tu ?
- Ce que je veux ? Je veux que tu me rendes ma place, je veux la clef qui mène à ton cœur.
- Non. Murmura Elizabeth en secouant la tête. Will, non…
- Comprends tu Will tu dois mourir pour que je retrouve ma place, je dois poignarder ton cœur ! »
Elizabeth poussa un cri étouffé en comprenant qu'il les avait attirés ici pour les tuer et commença à avancer, décidée à tout tenter pour faire revenir le vrai Jack mais Will la retint.
« Et tu relâcheras Elizabeth ?
- Bien sûr. Affirma Jack avec un sourire cruel. Je te laisse trois heures pour faire ton choix… »
Sur ces mots, il s'éloigna, les laissant plus désemparés que jamais…
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