Cinquante ans plus tard….
Le Hollandais Volant creva la surface marine, son capitaine à la barre. Toujours vêtue d’une robe d’une blancheur immaculée, telle une éternelle promise, Elizabeth Swann se dirigea vers les malheureux naufragés qui attendaient sur le pont du navire échoué. Les monstres qui constituaient son équipage s’écartèrent sur son passage, redoutant plus la jeune femme au visage d’ange que leur ancien capitaine tentaculaire. Elizabeth sourit en voyant flotter l’étendard pirate sur les flots rougis par les canons de la Royal Navy. Ainsi donc le moment était arrivé, les derniers pirates étaient finalement tombés sous les canons du tout puissant royaume d’Angleterre. La toute jeune capitaine sourit à cette idée. Elle haïssait les pirates à cause desquels elle aurait toujours vingt ans, à cause desquels elle ne se trouverait jamais de mari.
Sans se presser, Elizabeth se rendit sur le pont du navire et observa les pirates à demi-morts qui s’y trouvaient, savourant la lueur concupiscente qui faisait briller les yeux de certains des marins. Elle collectait les âmes des pirates depuis maintenant cinquante ans et avait vu défiler nombre des anciens acolytes de Jack Sparrow, elle avait même vu passer le père de ce dernier mais à son grand regret le vieux Teague ne s’était pas laissé prendre au piège de la Lorelei des Caraïbes et elle avait dû se résoudre à le laisser mourir. Douloureusement. Elizabeth sourit, de son éternel sourire de vingt printemps, et déjà les pirates les plus endurcis et les plus prévenus se sentirent fondre devant l’innocence qu’elle dégageait.
Les informations délivrées par Anamaria Sparrow avaient été utiles, le compte rendu fourni par Cutler Beckett avait en effet permis à son successeur de trouver le repère des pirates et d’éradiquer la menace qu’ils représentaient. Elizabeth ne s’était pas mêlée du conflit, se contentant de collecter les âmes perdues et apeurées que la curée avait précipité vers la mort. Le sourire éternellement figé dans une moue séductrice, Elizabeth se pencha vers le dernier pirate du pont.
« Alors dis-moi, as-tu peur de la mort ? As-tu peur de la noirceur des abysses ? Tous tes péchés à la face du monde révélés, sache que je te propose une échappatoire et plus encore pour les cent ans à venir. Murmura-t-elle en laissant le pirate la dévorer des yeux. Alors acceptes-tu mon offre ? »
Complètement hypnotisé par le charme de la jeune femme, le pirate hocha la tête.
« J’accepte votre offre et tout ce que vous m’ordonnerez. »
Elizabeth grimaça un sourire avant de faire signe à ses hommes d’emporter l’imprudent….
Depuis qu’elle était capitaine, le Hollandais Volant n’avait jamais été aussi peuplé, la jeune femme utilisant sans vergogne ses charmes pour enchaîner de malheureux marins à son service. Les hommes croyaient profiter de ses faveurs et se retrouvaient ensuite enchaînés pour toujours ou pour un siècle au Hollandais Volant. Elizabeth se prépara à entrer dans sa cabine et caressa négligemment la joue de Bill Turner à son passage. Le pauvre vieux marin n’était plus à présent qu’une coquille desséchée mais restait pourtant le seul envers qui Elizabeth faisait preuve d’affection. En souvenir de Will… sûrement.
Elizabeth entra dans sa cabine, les sens aiguisés par la vision d’un jeune marin à demi nu qu’elle avait réclamé dans sa cabine. Les yeux noisette, le visage glabre et innocent du jeune garçon avaient touché son ultime part humaine, celle qui serait toujours une jeune fille amoureuse d’un forgeron. Elle s’approcha nonchalamment de la forme vaguement humaine qui se détachait de la paroi de son mur et glissa une main assurée vers son bas ventre. Jack ouvrit les yeux, ses prunelles sombres encore reconnaissables sous les algues qui maculaient son corps. Elizabeth sourit en lisant la souffrance dans le regard de son prisonnier et lentement sa main le caressa, portant le pirate au bord de l’orgasme sans jamais lui accorder le soulagement de la jouissance comme depuis maintenant cinquante longues années. Elizabeth approcha ses lèvres de celles de Jack et se souvint de la résistance que le pirate lui opposait au début de sa réclusion, et de ce corps qui le trahissait toujours. Le pirate frémit, cherchant une fois de plus à obtenir sa récompense tandis qu’une unique larme roulait le long de sa joue.
Jack plongea son regard douloureux dans les yeux d’Elizabeth et ne rencontra que l’éclat froid de la noirceur des prunelles de celle qui avait été une jeune fille pleine d’entrain, de charme et de générosité. Le cœur du pirate fit un bond en sentant la proximité du corps de la jeune femme, ce corps que jamais elle ne l’avait laissé posséder, ne lui accordant qu’une caresse de temps à autres… Brève pression qui le laissait plus frustré encore, douloureusement tendu alors qu’il attendait un assouvissement qu’elle ne lui accorderait jamais. Jack s’était peu à peu incrusté dans le mur, finissant par oublier parfois qui il était, mais pas suffisamment pour ne pas voir son père mourir, pas assez pour ignorer qu’il était le dernier des hommes libres, le dernier des pirates, tous ses pareils ayant été massacrés par la Compagnie ou par Elizabeth. Jack n’avait pas encore assez oublié, il n’avait pas oublié le désir pas plus que l’amour. Et finalement il avait réussi à refaire fonctionner son compas, définitivement… L’objet, éternellement ouvert, pointait invariablement vers Elizabeth où qu’elle soit, quelle que soit sa compagnie.
La première fois que Jack l’avait remarqué c’était lorsque que la jeune femme s’était donnée à Bill le Bottier devant lui… Chaque soir pendant près de deux ans, Jack avait dû endurer le spectacle des étreintes de son ancien matelot avec celle qui avait été la fiancée de son fils, leur jouissance qui parfois le faisait gémir de frustration tandis qu’Elizabeth tournait vers lui son visage déformé par le plaisir.
Elizabeth le fixa longuement dans les yeux avant de se détourner vers le jeune homme qui l’attendait. Elle s’approcha d’un pas dansant, affectant une naïveté qu’elle n’avait plus depuis des années et le malheureux plongea comme tous ses pareils avant lui. Jack tenta de fermer les yeux mais il savait qu’elle ne le laisserait pas faire, elle voulait qu’il voit, qu’il comprenne qu’elle préférait se donner à la terre entière plutôt qu’à celui qui avait trahi Will Turner. Jack sursauta en entendant le cri de plaisir de la jeune fille du Gouverneur de Port Royal, ne sachant que trop bien ce qui allait arriver ensuite. Un long soupir lui échappa lorsque le garçon émit un ultime gargouillis de surprise, la gorge soigneusement tranchée par une main qui n’avait pas hésité. Jack murmura.
« Pourquoi Lizzie ? »
La jeune femme se tourna vers lui, les yeux brusquement envahis de tristesse
« Parce qu’il doit mourir, il ne m’a pas donné la nuit de noces à laquelle j’avais droit. »
Jack soupira, c’était toujours la même réponse… Elle avait cherché Will dans chacune de ses étreintes, allant jusqu’à coucher avec le propre père du jeune homme, le seul de ses amants qu’elle avait épargné. Une larme roula sur la joue d’Elizabeth tandis qu’elle souvenait de celle qu’elle avait été, entendant presque la voix de Will lui disant qu’il l’aimait …Elle décocha un coup violent dans l’estomac de Jack, cela aussi il s’y était habitué, avant de disparaître sur le pont, laissant Jack gémir sa douleur et sa peine, privé de liberté depuis si longtemps qu’il ne parvenait plus à se souvenir de la sensation du vent glissant sur son visage, du goût du rhum, de la douceur satinée de la peau d’une fille… Éternel esclave de celle qu’il désirait le plus au monde parce qu’il savait ne jamais réussir à la posséder… Gémissant comme une fille sous ses caresses perverses qui n’avaient pour but que de maintenir le désir en lui, comme si elle avait compris que le plus douloureux était de ne jamais pouvoir s’assouvir …
Sur le pont du Hollandais Volant, Elizabeth s’approcha du bastingage et fouilla du regard l’horizon qui s’étendait devant elle. Chaque jour le même cérémonial, chaque jour elle surveillait l’horizon, comme le lui avait demandé Will des années plus tôt. Elizabeth savait que le jeune forgeron ne reviendrait pas mais elle faisait semblant d’y croire encore. Will avait disparu, dévoré par le Kraken et à cause de cela l’autre monde lui avait été refusé. Cela aussi elle l’avait appris de Jones, comme la malédiction du cœur. Will était devenu une âme errante, sans repos, sans existence, sans mort… Vivante ou morte, Elizabeth n’aurait jamais pu le rejoindre. Alors elle avait choisi de devenir comme lui, une âme damnée, écumant les mers jusqu’à la fin du temps ou jusqu’à ce qu’on accorde aux deux amoureux perdus la grâce de se retrouver. En enfer ou au Paradis. Dans ce monde ou dans un autre. Sur terre ou sur les mers. Une unique larme roula sur sa joue alors qu’elle murmura pour elle-même.
« Je t’attendrais…. »
Tandis qu’Elizabeth caressait du bout des doigts, l’endroit où avait battu ardemment un cœur les alizés semblèrent lui répondre, comme la voix de Will Turner dans un murmure.
« N’oublie pas de surveiller l’horizon »
Alors Elizabeth sécha ses dernières larmes et ordonna la plongée de son navire, sûre qu’un jour Will reviendrait à l’horizon pour elle. Ce n’était qu’une question de temps et elle avait l’éternité devant elle.
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