Cela faisait plusieurs jours que Jack croupissait dans les cales du navire de la Compagnie sans avoir vu nulle autre personne qu’un gardien sourd et donc incorruptible. Du reste le pirate n’avait pas cherché à le faire, il ne cherchait pas à s’enfuir parce qu’il ne savait pas où aller une fois que ce serait fait. Le compas qui lui avait si souvent été d’une précieuse aide avait à nouveau perdu de son utilité et comme son propriétaire son aiguille était ballottée entre plusieurs directions dont aucune n’était toutefois satisfaisante.
L’approche d’un pas cadencé finit par sortir Jack de ses pensées, le pirate ne se donna pour autant pas la peine de se lever et continua d’ouvrir et de refermer inlassablement son compas. Son regard trahit à peine son étonnement en découvrant l’homme de main de Beckett devant lui. Sans le regarder Jack parla d’une voix ironique.
« Ohhh on vient visiter le pirate ? Mais que me vaut donc l’insigne honneur de la présence du chien de garde de Cutler Beckett ? »
Mercer parla d’une voix métallique en faisant crisser les clés sur les barreaux de sa prison.
« C’est Lord Beckett. Et il m’envoie vous chercher.
- Non merci, je suis très bien ici. »
Sans prêter attention à ses paroles, Mercer fit un geste de tête vers les deux gardes qui l’accompagnaient, ces derniers s’empressèrent de saisir Jack par les épaules, le forçant à se lever. Le pirate eut un geste dédaigneux des épaules et se dégagea pour se diriger vers la sortie.
« J’ai changé d’avis. » Dit-il avec un gracieux sourire à l’adresse de Mercer.
Sans attendre de réponse, Jack s’engagea dans le couloir, se préparant à tout bonnement sortir à l’air libre lorsque l’étau de la main de Mercer se referma sur son épaule et le ramena brutalement à son statut de prisonnier. Jack se retrouva projeté dans une grande pièce richement décorée tandis que Mercer refermait la porte derrière lui.
Une fois à l’intérieur, le pirate souleva négligemment des papiers çà et là, cherchant sans trop y croire le cœur de Jones que Norrington lui avait dérobé.
« N’y songez même pas… Vous ne le trouveriez pas. »
Sans se retourner Jack sourit, un sourire sans joie, ironique et triste tout à la fois
« On peut toujours espérer non ?
- Pas dans votre position Jack… pas dans votre position. » Répondit Beckett sur le même ton.
Jack se retourna et se décida enfin à regarder en face son plus vieil ennemi, celui qui l’avait engagé des années auparavant pour transporter de la marchandise humaine, marchandise que Jack avait ramenée en Afrique causant ainsi la perte de son navire et sa condamnation à être marqué du sceau de la piraterie. Beckett n’avait pas changé, il arborait un air suffisant et des talonnettes pour compenser sa petite taille. Même sur un navire de guerre l’homme ne perdait pas cette coquetterie imbécile qui lui faisait porter des fanfreluches là où un solide plastron aurait été plus indiqué.
« Votre examen est-il terminé Sparrow ? » Lui demanda Beckett en le conviant à s’asseoir d’un geste de la main.
Méfiant, Jack prit place et se servit au passage un verre d’un air faussement détendu, savourant la crispation agacée du menton de l’homme.
« Alors … que me voulez-vous donc ?
- Savoir comment la marque noire qui ornait votre main a disparue. »
Jack but son verre cul sec, avançant la main pour se resservir, son geste fut interrompu par Beckett qui lui enserra le poignet.
« Comment a-t-elle disparue ? Qui a payé votre dette ? »
Jack déglutit, ça faisait des jours qu’il se posait cette question sans pour autant trouver la réponse. Il choisit l’esquive.
« Peu importe. L’important c’est qu’elle ait disparue.
- Vraiment ? Je me demande si Jones sera d‘accord avec ça. A votre avis Sparrow que devrais-je faire de vous ? »
Jack sentit une main glacée lui étreindre l’échine à la mention de Jones… Sans conviction il tenta une parade.
« Et pourquoi pas me laisser repartir ? »
Beckett éclata de rire pour toute réponse.
« Jack, Jack, Jack…. Je ne suis pas stupide. Je veux vous voir mort mais j’avoue que de vous livrer à Jones, vous voir devenir son esclave alors qu’il est lui-même le mien me parait plus jouissif. »
Jack réprima un frisson, son visage se teintant un bref instant d’effroi.
« Vous n’avez pas d’autres désirs ? Une fille par exemple … Non pas que je ne sois pas flatté d’alimenter vos fantasmes mais mon seul et unique amour est et restera l’océan.
- Dans ce cas vous allez adorer voguer pour l’éternité sur les flots en compagnie de Jones. N’est-ce pas là le rêve de tout marin ?
- Envoyez-y Norrington plutôt. Votre nouvel amiral me parait tout disposé à tout faire pour vous plaire en tous points.
- Vous vous tiendrez donc compagnie… L’Amiral Norrington supervisera le Hollandais Volant les premiers temps, secondé en cela par Mr Mercer.
- Je vois … on a peur que le Commodore ne prenne le commandement pour lui ? C’est pour ça que vous avez tenu à me voir… Que voulez-vous Beckett ?
- Votre mort. Lente, douloureuse mais votre mort.
- Sauf que vous avez besoin de moi.
- Les pièces de huit… »
Jack accusa le coup en silence… Comment diable le Lord avait-il pu entendre parler des seigneurs pirates et de pièces de huit ? Beckett fit jouer une pièce entre ses doigts et sourit d’un air lointain
« Vous rappelez vous cette fille ? Anamaria. C’est elle qui m’en a parlé juste avant de rendre son dernier souffle. La pauvre était si mal en point. »
Jack serra les poings et reflua les larmes qui lui venaient aux yeux.
« Je me souviens d’elle… C’était ma sœur.
- Vraiment ? Je l’ignorais. Déclara calmement Beckett d’un ton prouvant qu’au contraire il ne méconnaissait pas les liens qui unissaient les deux pirates. Enfin, toujours est-il qu’elle m’a parlé des pièces et de Calypso… »
Jack s’assombrit encore… Ana avait dû beaucoup souffrir pour révéler ainsi les secrets les mieux gardés des pirates.
« Pas tant que ça, elle avait juste peur de la mort. À moins que ce ne soit de la souffrance. » Fit mine de s’interroger Beckett, lisant dans les pensées de son ennemi.
Jack reprit l’air détaché qui était son habitude et contempla Beckett.
« Je ne sais rien sur les pièces…
- Vous mentez Sparrow, beaucoup plus mal qu’à votre habitude. » Murmura Beckett en tranchant d’un coup d’épée une des mèches de cheveux de Jack, manquant de peu son œil.
D’un geste ferme et d’une parfaite maîtrise, il rattrapa la pièce qu’il avait ainsi fait voler, tandis que Jack grimaçait, sa situation lui paraissant empirer de minutes en minutes.
« N’y voyez rien de personnel Sparrow mais à présent je pense qu’un séjour à bord du Hollandais Volant est plus indiquée pour vous. Votre compagnie m’indispose. Le compas. » Ordonna-t-il d’un ton froid
Jack roula des yeux effarés en comprenant que l’autre souhaitait bel et bien le livrer au Hollandais Volant.
« Vous ne saurez pas le faire marcher parce que c’est moi que vous voulez… » Murmura-t-il d’une voix séductrice.
Beckett éclata d’un rire froid.
« Je vous ai déjà Sparrow… Dit-il en ouvrant le compas dont l’aiguille se fixa sans hésiter vers une autre direction. Le Hollandais Volant est par là… »
Jack sentit une main glacée se refermer sur son cœur tandis que Mercer entrait dans la pièce et se préparait à le ramener sans sa prison…
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Elizabeth Swann avait totalement perdu la notion du temps depuis la soirée où Jones lui avait arraché sa vertu ainsi que ces dernières illusions sur la nature humaine. Depuis ce jour elle se traînait comme une âme en peine sur le pont du Hollandais Volant, insensible au froid comme à l’humidité, le regard mort. Elle n’avait plus cherché à parler au père de Will ni même à le voir, sentant encore sur ses lèvres le goût de la semence qu’il avait déversé en elle. Elle avait même oublié Will, son amour, tant elle se sentait salie par l’odieux marché auquel elle avait donné son accord. Elle était lâche. Si elle n’avait pas eu peur de mourir jamais elle ne se serait retrouvée sur le Hollandais Volant et si elle n’avait pas eu peur de sentir les mains des monstres qui partageaient son quotidien sur elle, elle n’aurait pas eu cette relation avec le père de Will. Peu à peu son cœur s’emplissait de haine, envers Jones, envers Bill, envers Sparrow. L’homme qui avait causé tous ses malheurs. Une fois de plus elle se dit qu’elle aurait dû laisser Norrington pendre le pirate. S’il l’avait fait Will, son beau Will, son merveilleux Will serait encore vivant.
Jones se retourna vers elle, un nouveau rictus cruel aux tentacules. Il aimait cette expression perdue qu’elle avait, ce petit air égaré et fragile, ces yeux que n’illuminaient plus aucun espoir. D’un geste du tentacule, il lui fit signe d’approcher, cherchant déjà une nouvelle torture à imposer à sa catin personnelle. Contrairement à la jeune captive, Davy avait apprécié chaque jour passé depuis le premier et redécouvrait avec délice le plaisir charnel, savourant le fait de posséder un instrument aussi inusable qu’Elizabeth. Une esclave que non seulement il avait le bonheur de pouvoir faire hurler quand il lui en prenait l’envie mais qui de plus lui offrait un moyen de pression inédit sur ses marins torturés par le désir. En vérité l’homme poulpe ignorait ce qui lui procurait le plus de plaisir, posséder ce corps souple et juvénile en imaginant que c’était celle qui l’avait trahi qui supportait ses outrages ou voir les traits tendus des marins après chacun de ses divertissements. Savoir que lui s’assouvissait quand il le désirait alors qu’eux étaient obligés de ramper devant lui pour obtenir la même faveur. Avoir une femme à bord avait finalement des avantages. Jones avait fait la moisson d’âmes depuis qu’il avait Elizabeth à ses côtés lorsqu’il proposait son marché. Les réticents se montraient soudain plus intéressés lorsque Jones ajoutait le corps d’Elizabeth dans la balance. Il se sourit à lui-même tandis que la jeune femme s’agenouillait devant lui sans qu’il n’ait à lui ordonner. Il adorait son expression d’horreur lorsqu’il la découvrait devant les marins, les laissant même parfois toucher la chair tendre de la jeune femme. Tout comme il aimait les cris de détresse qui saluaient à présent l’entrée d’une nouvelle âme dans son équipage après qu‘il lui ait livré la jeune femme. Avec un sourire cruel, il saisit Elizabeth par les cheveux et la força à relever la tête.
« Alors Miss Swann… toujours satisfaite de votre nouvel emploi ? »
Elizabeth se mordit les lèvres au sang et repoussa loin d’elle l’image de Will qui la faisait tant souffrir, elle imaginait sans peine l’expression de son visage en la voyant s’affairer entre les cuisses de Jones comme une vulgaire catin. Ou pire encore, en la voyant agenouillée devant l’homme que son fiancé avait juré de libérer. Son père. Elle rougit et les larmes lui vinrent aux yeux alors qu’elle pensait à son père à elle. Que dirait le gouverneur en la voyant ainsi ? La honte la submergea tandis que Jones la frappait durement.
« Je t’ai posé une question sorcière !! Réponds ou alors c’est le fouet qui t ‘attend. »
Elizabeth ferma les yeux, incapable d’articuler un mot tandis que Jones levait à nouveau sa pince avant de s’immobiliser. Il se sentait brusquement bouleversé. Sans explication il relâcha la jeune femme avant de se diriger d’un pas lourd hors de la cabine, vers le pont du navire.
Jack frissonna en entendant le pas lourd du poulpe approcher et chercha désespérément une issue du regard. Norrington le fixa d’un air ironique.
« Vous avez peur Sparrow ?
- T’as pas idée mon gars… » Répondit Jack tandis que Mercer se tournait vers eux et leur imposait le silence d’un regard.
James se raidit en croisant le regard de l’homme de main de Beckett, il avait encore du mal à admettre que Mercer serait à ses côtés à bord du Hollandais Volant. Officiellement pour le seconder mais l’amiral était suffisamment intelligent pour comprendre que la vraie raison était que Beckett ne lui faisait pas assez confiance pour lui confier le cœur. Cœur dont pourtant il portait seul la gloire de s’en être emparé ! L’apparition de Davy Jones éructant de rage interrompit le cours de ses pensées.
« Comment osez-vous ? Comment osez-vous venir ici avec ce, cette chose !! » Hurla Jones en désignant la bourse de Norrington d’où s’échappait un battement régulier.
Voyant sa rage, Jack essaya de profiter de l’occasion pour leur fausser compagnie mais un tentacule froid l’arrêta bien vite.
« Toi. Sparrow ! J’aurais dû deviner que tu étais à l’origine de cela. »
La respiration du pirate se bloqua tandis qu’il se tournait vers Jones.
« En vérité… »
Les mots moururent sur les lèvres de Jack en voyant la silhouette qui émergeait de la cabine du poulpe tandis qu’un hoquet étranglé échappait à James. Imperturbable, Mercer prit le cœur de Jones des mains de Norrington et se dirigea vers le coffre laissé à l’abandon qui reposait dans un coin du pont. D’un geste précis il enferma le cœur dans le coffre avant de se tourner vers Jones.
« Ceci restera ici Jones, nous allons vous dicter nos ordres. Amiral Norrington ! »
James n’entendit pas Mercer et observa la jeune silhouette silencieuse pendant que Jack faisait un pas dans sa direction.
Elizabeth serra les poings en voyant Jack aux cotés de Norrington et de Mercer… L’homme qui était responsable de la mort de son fiancé, le lâche qui les avait tous condamnés se trouvait sur le pont et respirait l’air pur de l’océan alors que le dernier parfum qu’avait humé Will était l’haleine fétide du Kraken. Les yeux brûlants de haine et de rage elle s’approcha du petit groupe, notant à peine la présence de son ancien fiancé. Elle allait parler, enfin se délivrer de sa colère, sans se soucier des conséquences lorsque Mercer reprit d’un ton agacé.
« Amiral Norrington ! Prenez donc la clé ainsi que convenu avec Lord Beckett. Après tout vous la méritez amplement, c’est grâce à vous que le cœur est en notre possession. »
Alors seulement Elizabeth prêta attention à son ancien fiancé. Elle l’avait cru mort en héros, se sacrifiant pour assurer leur survie et voilà qu’elle apprenait qu’il les avait tous roulés ? Jack fixa la jeune femme, inexplicablement rassuré de trouver sa peau vierge de toute marque marine et murmura.
« Le côté obscur de l’ambition Trésor. Voilà pourquoi le moment venu je n’ai pu négocier avec tête de poulpe. Votre cher Norrington a volé le cœur ! Son sacrifice n’en était pas un ! »
Un coup en pleine figure interrompit net Jack qui se prit le nez à deux mains et le sang s’écoula le long de ses bras. Norrington se tourna ensuite vers Elizabeth et la serra contre lui sans que la jeune femme, désorientée, n’esquisse un geste.
« Elizabeth. Vous allez bien. Dieu merci vous êtes en vie. »
Mercer, agacé, se tourna vers Jones.
« Indiquez nous nos quartiers, nous allons nous installer ici avant de superviser les premières opérations. Ceci … Dit Mercer en désignant Jack. Est un cadeau pour sceller notre collaboration.
- Vous appelez collaboration le fait de m’imposer votre présence et de me donner des ordres ???? S’insurgea Jones
- Puisque notre ami le poulpe ne veut manifestement pas de moi je vous laisse. » Déclara Jack d’un air affecté en prenant la main d’Elizabeth dans la sienne et en l’entraînant vers le bastingage sous les regards momentanément ébahis des autres.
Elizabeth, perdue, se laissa faire, tentant péniblement de remettre de l’ordre dans ses idées. Ainsi James avait volé le cœur et Jack. La voix de Jones la coupa net dans ses réflexions.
« Non. Vous restez ici esclaves. Vos âmes m’appartiennent. »
Jack s’immobilisa tandis que James se tournait vers Jones avec sur le visage un air horrifié.
« Qu’avez-vous dit ? »
Jones sourit avec cruauté en lisant l’angoisse sur le visage de l’homme qui lui avait dérobé son cœur.
« J’ai dit que son âme m’appartenait. Miss Swann est la femme du Hollandais Volant. » Ricana Jones bientôt imité par le reste de l’équipage.
Jack coula un regard vers Elizabeth, encore plus mal à l’aise que lorsqu’il se trouvait sur l’île, ne comprenant que trop bien le double sens
« Oh Lizzie, je suis…
- Elle ne l’est plus. S’exclama James. Libérez-la. C’est un ordre. » Ajouta-t-il d’un ton glacial.
Mercer, légèrement en retrait, observait la scène, amusé de voir Norrington perdre aussi rapidement son sang-froid. Jones haussa un tentacule mais Norrington ne lui laissa pas le temps de protester.
« Gardez Sparrow à sa place si vous le souhaitez et faites en ce qui vous plaira mais Miss Swann reste avec moi. » Termina-t-il en entourant les épaules d’Elizabeth de son bras.
Jones lut la volonté farouche dans les yeux de l’homme auquel il était obligé d’obéir et s’inclina de mauvaise grâce.
« Elle est à vous donc… »
Sans attendre de réponse, James arracha la clef des mains de Mercer dont la mâchoire se durcit et commença à entraîner Elizabeth vers l’intérieur.
« Cachez le coffre Mercer puisque c’est là votre mission. Je garde la clef. »
Jack épia Norrington et le suivit des yeux
« Intéressant… » Murmura-t-il en voyant Mercer s’emparer du coffre et disparaître.
Le crachotement de Jones à son oreille le fit frissonner d’appréhension.
« Tu es à moi donc… Sparrow. »
Le cœur de Jack fit un bond dans sa poitrine. Il devait trouver un moyen de s‘échapper, ça devenait urgent….
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