Cinq ans plus tard …
Muni d’une carte usée qu’il avait dénichée dans les affaires que sa mère gardait précieusement dans une caissette au fond d’un coffre, Liam referma la porte de la maison dans laquelle il avait toujours vécu avec un pincement au cœur. Il aurait dû être heureux de pouvoir enfin réaliser son rêve d’enfant en prenant la mer mais c’était tout le contraire. Parce qu’alors c’était avec ses parents qu’il voulait le faire, les écouter lui apprendre à manœuvrer un navire, entendre les histoires pleines de chaleur et de vie que lui racontait Elizabeth avant le retour de Will, voir sa mère se comporter comme le pirate qu’elle avait été. Seulement ce rêve était à présent inaccessible.
Liam jeta un regard triste vers les deux monticules de terre fraîche qui surmontaient la colline et s’avança vers eux pour un dernier adieu. Une semaine plus tôt, ses parents étaient morts à quelques jours d’intervalle, le laissant seul. Elizabeth avait été la première à partir sans que Liam ne sache quel mal l’avait rongée jusqu’à la conduire à la tombe. Il ne savait pas précisément quand la maladie avait pris le dessus mais il réalisait à présent que cette dernière s’était installée insidieusement peu de temps après le retour de son père.
Depuis cette période, la femme enjouée, gaie et passionnée qu’avait été sa mère s’était transformée peu à peu en ombre soumise, en ce qu’elle aurait pu être si elle était restée à Port Royal et avait épousé James Norrington. Liam n’avait jamais compris ce changement et pendant longtemps dans un coin de son esprit il en avait voulu à son père, devinant instinctivement que Will Turner n’était pas étranger à la langueur et à la passivité qui chaque jour gagnaient un peu plus sa mère.
Et puis finalement, une semaine plus tôt et au terme des années durant lesquelles Liam avait vu sa mère dépérir et devenir de plus en plus triste et effacée, Elizabeth s’était éteinte comme elle avait vécu ces dix dernières années. Sans un bruit ni un soupir. Son père avait hurlé son chagrin lorsqu’il avait refermé ses yeux d’ambre sur le monde, ses mains rendues calleuses par les travaux de la forge passant et repassant sur le visage de la morte. Liam aussi avait pleuré, il avait pleuré la pirate qui lui racontait des histoires d’horizon, l’amoureuse qui avait su attendre son mari dix ans sans faillir, la mère qui avait toujours veillé sur lui. Mais ce n’était rien à côté du chagrin de William Turner.
Les yeux à demi fermés et la main sur la terre sous laquelle reposait désormais sa mère et qui faisait face à l’océan, Liam se remémora les jours qui avaient suivis la mort d’Elizabeth. Will était resté prostré de longues heures devant le corps sans vie de sa femme, marmonnant sans fin qu’il n’en avait rien à faire d’être libre, que sans elle ça n’avait pas de sens. Liam avait essayé de comprendre, de partager son chagrin avec Will à défaut d’autre chose mais rien n’avait pu sortir le forgeron de sa peine. Et deux jours plus tôt, Will était mort à son tour, le visage dans cette même terre dans laquelle Liam glissait à présent ses doigts engourdis par le froid.
Le jeune homme soupira avant de se relever et glissa un regard triste vers la tombe qu’il avait creusée pour son père. De nombreux villageois avaient montés la colline pour venir se recueillir sur la tombe du forgeron, plus que pour Elizabeth qui avait pourtant passé près de vingt ans de sa vie dans cet endroit quasi oublié du monde. Et personne n’avait su dire de quoi était mort Will. Mais Liam, lui, le savait. Son père était mort de chagrin. Une peine dévastatrice, teintée de regrets et d’un remord que Liam avait perçus sans en comprendre la cause.
Avec un dernier regard pour la maison qu’il quittait sans regrets, Liam ramassa le petit tas d’affaires qu’il avait empaqueté et commença à descendre la colline qui menait au port. Ce dernier s’était transformé au fil des années, devenant plus animé à mesure que la Compagnie des Indes étendait sa domination sur l’océan et le commerce, traquant sans pitié les pirates et autres corsaires qui continuaient pourtant à sévir dans cette partie du monde.
Il parvint en ville, le cœur encore lourd de la mort de ses parents et passa devant la forge où son père avait travaillé durant dix années ou presque et frissonna en se rappelant brusquement que dix ans plus tôt il s’était tenu sur la colline où reposait à présent ses parents pour voir son père revenir, enfin libéré de sa charge. Comme si le destin avait finalement décidé de n’accorder que dix ans de bonheur à ses parents avant de les reprendre…
L’armurier le salua d’un signe de tête avant de venir à sa rencontre, son bon visage fendu d’un sourire désolé.
« Comment tu vas garçon ? Tu t ‘es décidé ? Tu vas reprendre la forge de ton père ? »
Liam secoua négativement la tête, il soupira et jeta un regard envieux vers les navires qui se balançaient mollement dans le port.
« Que vas-tu faire alors ?
- Devenir marin … Murmura Liam en serrant la main de l’armurier. Au revoir monsieur.
- Et ta maison ? Et tes parents ?
- Les morts n’attendent pas le retour des vivants Monsieur Dodge… » Répondit Liam en s’éloignant.
Sans attendre, Liam se présenta au bureau de la Compagnie, sur d’y trouver un navire qui accepterait de le prendre à son bord malgré son inexpérience. Restant silencieux, le jeune homme observa un moment les visages surmontés de perruques des riches capitaines marchands et écouta de toutes ses oreilles en espérant en trouver un ou plusieurs à qui il manquerait des bras. Au bout d’un moment, la chance fut au rendez-vous et Liam entendit l’un des derniers arrivés se plaindre d’une tornade qui lui avait coûté plusieurs membres d’équipage qu’il lui faudrait sûrement remplacer avant de songer à reprendre la mer. Un sourire sûr de lui sur le visage, Liam s’approcha.
« Vous cherchez des hommes Capitaine ? »
L’autre se retourna et le dévisagea rapidement, grimaçant de le voir si fluet.
« Ça dépend… Tu sais naviguer ? »
Liam réfléchit un instant à la question. Savait-il naviguer ? Assurément non. En effet, si l’on oubliait les quelques après-midi, qu’enfant, il avait passé à naviguer avec sa mère sur le minuscule bateau de fortune qu’elle avait remis à flots et qui était trop fragile pour quitter la baie qui les entourait, Liam n’avait jamais quitté l’île sur laquelle sa mère s’était installée avant sa naissance. Pourtant il toisa le capitaine et répondit d’un air sur de lui.
« Évidemment. » Affirma-t-il songeant qu’après tout il avait passé suffisamment de temps durant son enfance à écouter les histoires d’Elizabeth pour savoir comment se comporter à bord d’un navire.
Le capitaine le regarda d’un air dubitatif avant de soupirer.
« Tu ne parais pas tellement taillé pour la mer….
- Ce ne sont pas les muscles qui font un homme. » Rétorqua Liam.
Contre attente, le capitaine ébaucha un sourire et se tourna vers lui.
« Et comment t’appelles tu petit ?
- Liam. Liam Turner. Et j’ai passé l’âge qu’on m’appelle petit, j’ai presque vingt ans.
- Turner … Réfléchit à haute voix le Capitaine en passant outre la correction de Liam. Il y avait des Turner qui étaient recherchés par la Compagnie il y a de ça un bout de temps.
- C’est un nom courant. Objecta Liam qui se traita mentalement d’imbécile pour avoir donné son vrai nom, sa carrière de pirate commençait bien…
- Ouais… Et puis de toute manière tu es trop jeune pour être l’un d’entre eux. »
Liam retint son souffle et laissa le capitaine réfléchir.
« Tu es tout de même un peu vieux pour partir ainsi. Souvent les jeunes qui s’engagent ont cinq ans de moins que toi au moins. Pourquoi veux-tu naviguer ? Pour fuir la justice ?
- Bien sûr que non ! S’exclama Liam avec conviction tant il trouvait l’idée ridicule. Et j’ai déjà navigué. » Mentit-il.
Le vieux capitaine se gratta la tête et le fixa sans aménité.
« Je te préviens Turner, j’attends de mes hommes qu’ils travaillent, les tire au flanc ou ceux qui sont incapables de suivre la cadence se retrouvent vite par-dessus bord. Quant aux escales, elles ne doivent pas être un prétexte pour écumer les tavernes et se payer des filles de joie.
- Je ne suis pas comme ça. » Affirma Liam qui songea que cette fois ci ce n’était pas un mensonge attendu qu’il n’avait même jamais été attiré par une fille. Chose, qui d’ailleurs, désespérait sa mère et faisait rire son père qui lui rétorquait invariablement que leur fils se réservait pour son grand amour comme lui avait pu le faire. Sauf que Will et Elizabeth s’étaient connus alors qu’ils n’avaient que douze ans tandis qu’à presque vingt ans, Liam n’avait toujours pas rencontré « son Elizabeth ». Perdu dans ses pensées, il écouta d’une oreille distraite la suite du laïus du capitaine et finit par réagir lorsque ce dernier se leva, lui faisant signe de le suivre. Le cœur battant, Liam le suivit avec empressement et se gourmanda à nouveau intérieurement de n’avoir rien écouté du discours de l’homme et donc ignorait à présent où ce dernier le conduisait.
Ils parvinrent rapidement devant un bâtiment imposant au mat duquel flottait les couleurs de la Compagnie des Indes que Liam avait appris à reconnaître au fil des années.
« Allez dépêche-toi Turner… On embarque dans une heure donc si tu as des adieux à faire c’est maintenant. »
Liam ouvrit la bouche avant de la refermer pour maîtriser son excitation.
« Pas d’adieux Capitaine. Déclara-t-il, le cœur serré en pensant à ceux qui reposaient au sommet de la colline.
- Bien. Dans ce cas monte et bienvenue sur Le Fontainier. » Déclara le capitaine, l’air toujours aussi sceptique quant à sa nouvelle recrue.
Le cœur bondissant de joie dans sa poitrine, Liam s’empressa de monter sur la planche faisant office de passerelle qui menait au navire et trébucha sur un morceau de bois, manquant de justesse de se retrouver à l’eau. Rougissant, il entendit son nouveau capitaine soupirer lourdement derrière lui et marmonner une malédiction à l’encontre des esprits de l’océan qui lui infligeaient un tel incapable. La tête basse, surveillant ses pas, Liam se dépêcha d‘embarquer, décidé à se faire tout petit jusqu’à ce qu’ils prennent la mer et que le capitaine ne puisse plus le renvoyer.
Hésitant, Liam salua d’un signe de tête ses nouveaux compagnons avant de chercher du regard un endroit où déposer les maigres souvenirs qu’il emportait avec lui. L’un des hommes, un grand costaud qui devait assurément plaire au capitaine s’approcha de lui.
« Je suis Barto.
- Et moi Liam, Liam Turner. Content de te rencontrer l’ami. » Lança joyeusement Liam, pressé de se faire accepter au sein de l’équipage.
Barto lui jeta un regard hostile.
« Ce n’est pas l’ami mais Monsieur. Je suis le second de ce bâtiment Turner. En d’autres termes, je donne les ordres tu obéis. Si tu n’es pas d’accord avec ça tu dégages maintenant. »
Liam rougit jusqu’à la racine des cheveux et songea qu’il les accumulait…
« Oui Monsieur. » Se reprit-il.
Barto hocha la tête et lui désigna la cale.
« Va te trouver une place là-dedans pour mettre tes affaires. Puis remonte, on a besoin de tous les bras pour repartir. »
Soulagé Liam se précipita vers la cale et manqua une nouvelle fois de rouler au bas des marches raides, déstabilisé par un brusque roulis. Avec un soupir, il chercha des yeux un emplacement libre, il grimaça devant la puanteur du dortoir de l’équipage et finit par trouver un hamac inoccupé où il jeta ses affaires, un peu inquiet à l’idée de ne pas les retrouver plus tard.
Finalement, Liam remonta sur le pont et songea avec angoisse qu’il ne connaissait même pas le nom de son capitaine. L’autre lui avait sûrement dit pendant qu’il rêvassait au bureau de la Compagnie. Barto lui lança un regard froid et lui désigna un tas de cordages.
« Va démêler les bouts Turner. »
Liam hocha la tête et s’avança devant le tas. Il prit les cordes maladroitement et chercha comment défaire les nœuds qui les surchargeaient. Concentré, le jeune homme tenta de se rappeler les histoires de sa mère avant de réaliser avec angoisse qu’Elizabeth n’avait sûrement jamais démêlé de bouts. Perplexe, Liam commença à les observer et suivit du bout des doigts les cordages, jusqu’à ce qu’un marin lui file une bourrade, le visage fendu par un sourire avenant.
« Tu sais pas trop comment on fait hein ?
- Non. » Admit Liam, choisissant de faire confiance à l’homme.
Avec un sourire, l’autre commença à démêler les cordes, s’y prenant lentement pour que Liam retienne les gestes.
« Merci. Souffla ce dernier.
- Pas de quoi. Je suis Arvil.
- Liam Turner.
- Enchanté petit. Allez viens… On va partir. »
Liam suivit son nouvel ami jusqu’au bastingage, il fixa la colline d’où il avait si souvent regardé partir les navires et esquissa son premier vrai sourire depuis la mort de ses parents. Il y était arrivé. Il prenait enfin la mer et réalisait son rêve. Du moins en partie. Mais il réfléchirait plus tard au moyen de rejoindre un équipage de pirates et de trouver le capitaine Jack Sparrow dont sa mère lui avait tant parlé. Pour l’instant, l’aventure commençait…
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